Promenade littéraire dans Jérusalem
Agnès Bensimon de l’Ambassade d’Israël en Belgique nous guide dans Jérusalem au fil des pages des écrivains qui ont vécu et vivent dans la ville. Une promenade littéraire irrésistible !
En cette journée particulière qui célèbre Jérusalem, nous vous proposons une promenade littéraire à travers les œuvres de certains des grands auteurs israéliens que la ville a inspirés et qui y ont vécu. Nous espérons que ces choix (non exhaustifs) vous inciteront à ouvrir à nouveau leurs pages et à y sentir battre le cœur de Jérusalem.
: Cliquez ! Il indique sur la carte l’étape de notre promenade littéraire.
SHAI AGNON — « La langue sacrée n’a pas dit son dernier mot » estimait Shmuel Yossef Agnon, dont l’oeuvre immense lui a valu de recevoir le seul Prix Nobel de Littérature attribué à un écrivain israélien.
Dans son discours prononcé le 10 décembre 1966 à Stockholm, il exprima la profondeur de son attachement à Jérusalem par ces mots : « Laissez-moi vous dire qui je suis. Je suis né dans une petite ville de l’exil, due à la catastrophe de la destruction de Jérusalem qui nous dispersa tous. Mais à chaque instant je savais, je sentais que j’étais né à Jérusalem et que j’étais prêtre dans mes rêves. C’est à cause de Jérusalem que je suis capable d’écrire avec la plume que Dieu a mise entre mes mains. »
Sa longue silhouette arpentant le quartier de Talpiot était familière à ses habitants. Le shabbat, il distribuait volontiers des bonbons aux enfants. La rue où il avait fait bâtir sa maison, dans le style moderniste, était fermée à la circulation par cet écriteau «Interdiction d’entrer à tout véhicule, écrivain au travail» !
TMOL SHILSHOM — Ce café littéraire nommé d’après le plus célèbre des romans de S.Y. Agnon, Tmol Shilshom (D’hier et d’avant-hier), est une institution à Jérusalem.
Ce lieu intime et chaleureux vous accueille au premier étage d’une belle bâtisse en pierre, dans une arrière-cour en retrait d’une ruelle touristique du centre-ville. Dans l’esprit de ses fondateurs, Dan Goldberg et l’écrivain David Ehrlich, à travers l’hommage au Prix Nobel, il s’agissait de faire vivre la littérature israélienne. Tous les auteurs contemporains y ont été invités pour des rencontres passionnantes avec leur public: David Grossman, Amos Oz, Aharon Appelfeld, Meir Shalev et bien d’autres.
Le café, restaurant, librairie, cercle littéraire est cependant en sursis, suite au décès brutal de David Ehrlich, aux premiers jours du confinement sanitaire. Les employés et amis de Tmol Shilshom essaient de financer la sauvegarde de leur café bien-aimé.
YEHUDA AMICHAÏ — le poète de Jérusalem.
Poète d’une terre sujette aux tremblements des hommes qui l’habitent, d’une langue hantée par ses sens mystiques, Amichaï (1924-2000) accompagne l’histoire tout entière d’Israël. Il laisse en héritage à des générations nourries de sa poésie la tâche, difficile d’écrire à sa suite. «A l’instar des prières d’autrefois, la poésie demeure un élément essentiel dans la vie des peuples.» disait-il.
Michel Eckhard Elial a traduit pour les éditions de L’éclat les Poèmes de Jérusalem (1991) d’où est extrait celui que Pascale Goëta nous fait l’amitié d’interpréter ici :
Vous pouvez prolonger ce voyage poétique sur la chaîne YouTube de Pascale Goëta qui pendant 55 jours a effectué grâce à ses lectures une magnifique traversée du confinement.Michel Eckhard Elial, poète, traducteur et fondateur des Editions du Levant propose le samedi 23 mai 2020 un troisième « Café du Levant » en compagnie de la poétesse israélienne Lali Tsipi Michaeli sur Facebook et sur Zoom . Cliquez ici pour le lien vers Zoom, le 23 mai, 16h.
AMOS OZ — Jérusalem est intimement chevillée à l’âme et à l’œuvre d’Amos Oz (1939-2018). Il a entretenu avec la ville une véritable Histoire d’amour et de ténèbres et lui a consacré dans ce récit autobiographique (Gallimard, 2004) les plus belles pages de la littérature hébraïque contemporaine.
De Mon Michaël (1968), roman des origines à Judas, son roman testament (Gallimard, 2016), Amos Oz suit à travers les rues, les quartiers, les portraits des habitants de la ville, qu’ils soient célèbres ou pas, son chemin d’écriture. Même si sa vie au kibboutz a également profondément inspiré ses romans, transformé son identité par un changement de nom, l’écrivain Oz n’a jamais lâché la main du petit Amos Klausner, né en 1939 dans le quartier de Kerem Avraham.
Dans son autobiographie, il consacre de nombreux chapitres à l’évocation du riche monde littéraire qui l’a façonné enfant, en particulier entre son grand-oncle Yosef Klausner, rédacteur en chef de l’Encyclopedia Hebraica, Professeur de littérature hébraïque à l’Université de Jérusalem et l’écrivain S.Y. Agnon, dont les maisons se faisaient face.
Amos Oz rapporte avec un humour caustique les relations épouvantables entre les deux hommes : “Une froideur polie, mais venant de l’Arctique, tombait momentanément sur la petite route si les deux hommes venaient à se croiser… »Il rend hommage au Prix Nobel en donnant la mesure de son impact sur la genèse de sa création : « Pendant des années, je me suis efforcé de ne plus vivre dans l’ombre d’Agnon, de m’affranchir de son ascendant (…). J’ai eu beau faire, les leçons d’Agnon se retrouvent évidemment dans mes livres. » Mais quel plus bel hommage aussi à ce grand-oncle Yosef Klausner, auteur d’un ouvrage consacré à Jésus Christ, publié en 1921 et qui fit scandale à l’époque, que de l’avoir réincarné dans son dernier roman, Judas, en la personne de Shmuel Asch, le protagoniste.
Comme personne, Amos Oz fait de Jérusalem un paysage littéraire vivant comme un personnage.
Portrait Amos Oz: Michiel Hendryckx
ZERUYA SHALEV — Figure lumineuse de la littérature israélienne. Zeruya Shalev a vécu 40 ans à Rehavia, un quartier résidentiel de la ville. Elle a construit une œuvre intense, entamée avec un tryptique sur le couple (Vie amoureuse, Mari et Femme et Thèra, Gallimard, 2000, 2002, 2007), poursuivie avec le splendide Ce qui reste de nos vies (Gallimard, prix Femina étranger 2014) et plus récemment Douleur, un roman qui pourrait constituer un volet supplémentaire de sa trilogie.
Le 29 janvier 2004, à Jérusalem, Zeruya Shalev a été blessée dans l’explosion d’un bus – l’attentat a fait onze morts. Elle a passé six mois au lit, incapable de marcher ou d’écrire ; quand elle a retrouvé ses forces et sa « foi en la littérature », elle a décidé que cet événement ne devait rien changer à sa ligne de conduite, et a repris l’écriture de Thèra là où elle l’avait laissée.
Presque à son insu, 13 ans plus tard, cet attentat s’impose à l’auteure dans son roman Douleur. Sans jamais le décrire de façon précise, elle donne la mesure de l’implosion que cet événement a déclenché dans l’intimité de la cellule familiale de son héroïne.
BATYA GOUR (1947-2005) à EMEK REFAÏM.
Batya Gour, née à Tel Aviv en 1947 de parents survivants de la Shoah, a été longtemps professeur de littérature à l’Université de Jérusalem et critique littéraire. Ce n’est que tardivement, à l’approche de la quarantaine, qu’elle se mit à l’écriture, donnant naissance au personnage du flic de Michaël Ohayon dans Le Meurtre du samedi matin, premier roman, paru en 1988 en Israël (Fayard, 1993) couronné d’un succès immédiat. Avec elle, le genre policier conquiert sa place dans la littérature israélienne. Le choix de son personnage fétiche, enfant pauvre d’une famille d’émigrés marocains devenu Directeur des Affaires criminelles à Jérusalem, constitue également une première.
Batya Gour révèle son attachement à la ville dans un essai paru en 2000, «Jérusalem, une leçon d’humilité» (Gallimard) en l’abordant par des chemins de traverse. Elle a raconté «sa» Jérusalem : une première rencontre avec la ville lors d’une excursion scolaire, qui lui fait découvrir une cité divisée qui n’a rien à voir avec la Jérusalem céleste de son imagination ; ses années d’apprentissage et d’apprivoisement de la particularité de Jérusalem ; le bonheur et la difficulté d’y vivre, son quotidien, ses quartiers, ses rues, son ciel, ses gens ; son histoire aussi, évidemment, car à Jérusalem plus qu’ailleurs il est impossible d’échapper au poids du passé. Ni historienne ni militante, c’est en romancière qu’elle a livré un portrait iconoclaste et controversé, attachant et humain.
Batya Gour a vécu les sept dernières années de sa vie rue Emek Refaïm, auprès de son deuxième mari, Ariel Hirschfeld, également professeur de littérature à l’Université hébraïque de Jérusalem. En hommage, il a ouvert juste au seuil de leur maison un petit jardin où coule une très ancienne fontaine et accessible au public.
De NAHLAOT au SHOUK MAHANE YEHUDA
Deux quartiers grands comme un mouchoir de poche se font face, de part et d’autre de la rue Agripas : Nahlaot, la spiritualité et le silence recueilli des lieux de prière, Mahane Yehuda, le shouk animé, bruyant, tout en odeurs, saveurs, couleurs.
Erigé à l’époque ottomane à la fin du 19ème siècle, grâce au philanthrope anglais Sir Moses Montefiori soucieux de désenclaver la Vieille Ville, Nahlaot comptait deux secteurs distincts : Mazkeret Moshe regroupant différentes communautés ashkénazes et Ohel Moshe des Juifs sépharades.
Dans cette partie naquit, au 11 rue Gilboa, Itzhak Navon futur Président de l’Etat d’Israël (1978-1983), descendant de Juifs espagnols ayant gagné la Turquie au moment de l’expulsion de 1492, puis Jérusalem dès 1670 et du côté maternel, de Juifs marocains établis depuis 3 siècles dans la ville sainte. Son enfance passée au « Gan HaTut », « le jardin du mûrier» à Nahlaot a inspiré ses écrits. Des contes, mais surtout une pièce de théâtre musicale très populaire Bustan Sfaradi, Le verger sépharade, jouée au théâtre Habima de Tel Aviv, en 1970. Récemment, « Gan HaTut », son terrain de jeu, a été renommé «Gan Bustan Sfaradi».
Une autre famille célèbre, originaire d’Iran, vivait du côté du shouk MahaneYehuda: les Banaï. Le patriarche, Meir Eliahu Bana (devenu Banaï) possédait une échoppe de fruits et légumes au « 1 rehov Ha’agas », « 1, rue de la poire ». Il eut 5 fils parmi lesquels le dramaturge Yossi Banaï, le juge Itzhak Banaï. Chacun de ses fils a engendré à son tour des acteurs, des compositeurs, chanteurs et musiciens, sur trois générations. Ehud Banaï, fils de Yaakov, a composé une magnifique chanson sur ce berceau familial sis au 1 rue de la poire : « Au-dessus de l’étalage de légumes, la maison est vide à présent. Et nus sont les murs. Mais imprégnés sont-ils de souvenirs de fêtes. D’odeurs de jasmin. Et de vieilles mélodies d’un repas convivial. Rue de la poire, 1. A côté des crochets à poulets, les vieux livres sacrés, sur les étagères jaunissaient (…)».
Photos : crédit Tal Bensimon, guide touristique
SAYED KASHUA — Palestinien et citoyen d’Israël, comme il se présente, l’écrivain Sayed Kashua, né à Tira en Basse-Galilée en 1975 vit dans sa chair et son écriture cette identité tourmentée.
Adolescent brillant, il obtint une bourse d’études pour une école d’élèves surdoués à Jérusalem. Dans Les Arabes dansent aussi (Belfond, 2003 ; rééd. L’Olivier, 2015), il relate les innombrables difficultés qu’il a dû surmonter pour conquérir la langue de l’autre. L’identité palestinienne, dans sa relation problématique avec l’israélienne, demeure le centre névralgique de son écriture inscrite dans le XXIème siècle. Son conflit identitaire est devenu source de création et l’humour une véritable stratégie de survie face au lecteur. Que ce soit dans ses romans suivants Et il y eut un matin (2006), La deuxième personne (2010), ou la série culte Travail arabe ou encore dans ses chroniques pour le quotidien Haaretz.
La dualité entre les parties orientale et occidentale de Jérusalem est incarnée par les personnages de ses romans (lui-même était passé à l’Ouest avec sa famille). Dans son unique nouvelle Herzl disparaît à minuit (2005), présentée comme un conte fantastique, il opère une séparation vertigineuse entre les deux mondes. Herzl vit à Jérusalem Ouest, parle hébreu… jusqu’à minuit. Tel Cendrillon, à la minute même, il est Hliwa, un militant nationaliste palestinien, vivant à l’Est, qui ne parle que l’arabe et ignore que dans la journée, il est Herzl et parle hébreu…Toutefois, c’est Hliwa qui, en hebréu, raconte l’histoire de cette mutation!
En laissant derrière lui une langue et une littérature (arabe) pour s’adapter à une langue et à une littérature d’accueil (hébraïque), Sayed Kashua y voyait une façon de reconstruire l’image du Palestinien dans la littérature hébraïque. A l’été de 2014, il jette l’éponge et quitte Jérusalem pour s’installer aux Etats-Unis. Son dernier roman Les modifications (L’Olivier, 2019) écrit depuis l’exil, marque une rupture profonde avec sa démarche antérieure.
DAVID GROSSMAN
David Grossman est né à Beit Hakerem, un quartier de Jérusalem qui a servi de décor aux héros de ses premiers romans : David, 12 ans dans Duel à Jérusalem (1982), Momik, 9 ans dans Voir ci-dessous : amour (1986) ou encore Aharon, à la veille de sa bar-mitzva dans Le livre de la grammaire intérieure (1991). Le lieu de l’enfance partagée en quelque sorte.
Adulte, David Grossman a vécu de longues années à Talpiot, décidément le pôle magnétique littéraire de Jérusalem, avant de s’établir à Mevaseret Tsion, située sur une colline aux portes de la capitale. Dans Quelqu’un avec qui courir (2003), roman pour la jeunesse mais pas seulement, David Grossman centre son action au cœur de Jérusalem, le fameux « meshulash », le triangle, où les jeunes gens à la rue sont la proie des dealers. Enfin, Ora, l’exceptionnelle héroïne de La femme fuyant l’annonce (2011) revit les plus belles années de sa vie dans la maison de son cœur à Ein Karem. Comme pour Amos Oz, Jérusalem est pour David Grossman l’écrin dans lequel l’écriture a jailli.
« JERUSALEM » — le best-seller d’OTTOLENGHI et TAMIMI.Voici quelques années Sami Tamimi et Yotam Ottolenghi composaient un voyage culinaire, véritable odyssée personnelle de deux enfants de Jérusalem, l’un né à l’Est et l’autre à l’Ouest. Les saveurs, les odeurs de Jérusalem ont constitué le terreau de leur langue maternelle. Dans ce livre, ils remontent le temps vers les premières expériences gustatives de leur enfance. « Il n’existe rien de plus varié que la nourriture de Jérusalem (…) La diversité et la richesse de cette ville, à la fois en termes d’origine des cuisiniers et d’ingrédients utilisés, la rendent fascinante pour tous les étrangers. »
Nul n’étant prophète en sa ville, c’est à Londres que Sami Tamimi et Yotam Ottolenghi se sont rencontrés et ont découvert chez l’autre la même nostalgie de Jérusalem. La cuisine, heureusement, fait parfois tomber des frontières. Confinement – déconfinement, il est temps d’ouvrir encore et toujours ce fabuleux trésor de recettes. Edition française – Hachette Cuisine – 2014.
Esther Orner
Mai 22, 2020 @ 11:02:49
Une belle promenade littéraire tout en restant chez soi par ce hamsin et le Corona. Un moment de joie.
Brigitte
Mai 23, 2020 @ 07:53:09
Israël dans ce qu’il a et est de meilleur. Et tant d’autres noms viennent à l’esprit, j’ajouterais pour ceux qui lisent en hébreu Shulamit Har Even –
שולמית הר אבן וספרה ׳עיר ימים רבים׳.