Sous le signe du corbeau, Amir Gutfreund

Nous retrouvons Agnès Bensimon à l’occasion de la sortie de la parution à titre posthume de SOUS LE SIGNE DU CORBEAU d’Amir GUTFREUND, aux éditions Gallimard.

Traduction de l’hébreu par Katherine Werchowski. 302 p.

Amir Gutfreund, né à Haïfa en 1963 et décédé du cancer en 2015, à 52 ans, s’était fait connaître avec un premier roman bouleversant LES GENS INDISPENSABLES NE MEURENT JAMAIS, paru en 2007, dans lequel il racontait l’histoire de deux adolescents en quête de grands-parents de substitution, les leurs ayant disparu dans la Shoah. Un roman fortement inspiré du vécu de l’auteur et qui depuis est considéré comme un ouvrage majeur de la littérature de la Shoah.

Tous les romans d’Amir Gutfreund, se déroulent à Haïfa, sa ville et tous sont hantés de manière très différente par les réminiscences du génocide. LA LEGENDE DE BRUNO ET ADELE, édité également à titre posthume, prenait la forme d’un roman policier pour rendre hommage à Bruno Schulz, un merveilleux écrivain juif polonais, abattu par les nazis en 1942, Adèle étant l’héroïne d’un roman de Bruno Schulz.

POUR ELLE, VOLENT LES HEROS, le dernier roman publié du vivant de l’auteur, toujours chez Gallimard, offrait le récit tendre et drôle d’une amitié et d’une obsession amoureuse. Ancrée dans un quartier ouvrier de Haïfa, dans les années 60-70, l’action est partagée entre quatre amis ayant passé leur jeunesse et fait leur service ensemble. Ils volent au secours de la belle Mikhal (la sœur de l’un d’entre eux) prisonnière d’une secte, à des milliers de kilomètres de là et dont le narrateur est secrètement amoureux. Ce roman a été adapté – de façon très libre, par Omri Givon pour une série TV éponyme sur Netflix, qui a connu un immense succès international. 

C’est à ce roman que s’apparente le plus SOUS LE SIGNE DU CORBEAU, bien qu’en apparence, le personnage principal arbore le visage d’un anti-héros à la dérive. Il apparait dans les premières pages, en training, courant sans but, laissant errer ses pensées sur ses échecs accumulés : Dana, la femme de sa vie, l’a quitté il y a deux ans, ce génie de la high tech, fondateur d’une start up, s’est fait virer par son ex-associé avec l’aval de toute l’équipe. Il suit une thérapie sans conviction pour obéir à son jeune frère Elie, avocat brillant et son seul soutien dans la vie.

Il va percuter sur un fait divers inquiétant, la disparition d’une jeune fille de 16 ans, Lir Ohayon, au point de rejoindre, sur un coup de tête, les équipes de recherche organisées par la police.

C’est que cette disparition fait profondément écho en lui. D’abord, il y a l’histoire familiale : le fantôme d’un oncle disparu en Afrique, ancien prisonnier des Egyptiens pendant la guerre de kippour. Son frère, le père du narrateur, n’a eu de cesse de le retrouver, le cherchant jusqu’en Afrique, pendant des mois. Il a transmis à son fils le traumatisme de cette disparition, lequel s’est érigé en gardien de la mémoire de cet oncle et en gardien de la quête de son père.

Une obsession identique l’anime vis à vis de la jeune fille disparue. Le tout renforcé par la disparition de Dana, sortie de sa vie, malgré ses espoirs permanents de tomber sur elle, par hasard. 

Ce héros qui vacille, ce double d’Amir Gutfreund, en quête de lui-même, ressemble à bon nombre d’Israéliens d’aujourd’hui, à la recherche de sens, de paix, intérieure, sociale et historique. L’humour, la dérision et la tendresse sous-tendent un texte qui nous surprend et garde intacte une part de mystère.

Sans doute cela tient-il au fait que ce roman, écrit en 2013, est empreint d’une disparition et d’une blessure plus intimes, comme l’exprime avec pudeur la dédicace :

A Neta Shamir de mémoire bénie

Ma femme, mon amour

Mon premier livre sans toi

©Agnès Bensimon

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