Quand ma fille était soldate et le Grand tour des jeunes Israéliens
Le 14 mars 2019, ma fille Anaël a terminé son service militaire. Deux ans et huit mois ont passé depuis le 17 juillet 2016, le jour où elle est rentrée à l’armée, le jour où je suis devenue Israélienne ! Le 14 mars dernier, elle a coupé son hoger, sa carte d’identité militaire, un rite de passage obligé pour tous les soldats et les soldates, le signe qu’ils et elles quittent l’armée pour la vie active. Il est bien sûr indispensable que la photo de cet événement soit partagée sur les réseaux sociaux.
Symboliquement, je pense que cet acte est essentiel, une façon de couper le cordon avec Tsahal. Parce que l’armée, c’est une perte de liberté, la confrontation à une discipline rigoureuse, des responsabilités mais c’est aussi une prise en charge totale ; pendant le service militaire, il n’y a pas de décisions relatives à la vie personnelle à prendre, l’emploi du temps et le chemin sont tout tracés, cela peut être reposant. Maintenant, l’heure des choix a sonné ! Mais avant de choisir une voie, les jeunes Israéliens qui terminent l’armée n’ont qu’une envie se changer les idées, pour la plupart cela veut dire voyager et découvrir le monde. Ils se dirigent vers l’Est et surtout l’Inde ou vers l’Ouest et surtout l’Amérique du Sud. C’est un peu l’équivalent du Grand Tour, ce voyage en Europe et quelquefois jusqu’au Moyen-Orient pratiqué, à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle par les fils (rarement par les filles) de bonne famille de la société européenne. Sauf que nombre de jeunes Israéliens et de jeunes Israéliennes doivent travailler pour financer leur périple. Puis revenir, travailler encore soit pour rentrer dans la vie active soit pour financer les études. Les jeunes d’Israël rejoignent les bancs des universités alors qu’ils ont plus ou moins 22 ans, quelquefois plus tard et cela contrairement à la plupart des jeunes des autres pays. L’avantage, c’est qu’en général, ils ont bien réfléchi avant d’entamer leur cursus universitaire, qu’ils ne passent pas d’une filière à l’autre et c’est bien connu, « les voyages forment la jeunesse ». Qu’ils ont aussi beaucoup plus de maturité quand ils étudient. Les amies belges d’Anaël auront un diplôme alors qu’elle n’aura pas encore commencé son cursus universitaire. C’est là une grande différence entre la perception du temps, du déroulé de la vie en Israël ou en Diaspora, un peu comme la différence entre le calendrier hébraïque et le grégorien.
Au moment du bilan, Anaël dit avoir apprécié son service militaire. Elle a appris beaucoup et notamment à agir sous pression. Bien sûr, elle a du s’habituer à un fonctionnement très hiérarchisé et les derniers mois ont été un peu longs et trop routiniers mais Anaël est satisfaite. Elle a fait un service משמעותי, un service qui a du sens et elle a donné un peu d’elle-même à son pays. De plus, elle a l’impression d’avoir acquis des amis pour la vie, venus d’horizons différents pas seulement des passionnés de surf et des habitants de Tel Aviv comme elle. Elle a élargi son horizon, les autres soldats et soldates venaient de Beth Shemesh, Nordia, Afoula, Isfiyah, Migdal HaEmek, une manière bien sympathique d’apprendre la géographie d’Israël. Elle a l’impression d’être aujourd’hui plus tolérante envers les autres et de mieux comprendre la société israélienne dans son ensemble. Elle a appris à vivre en communauté, cela forme de partager une toute petite chambre à six !
En tant que mère de soldate, j’ai été privilégiée, je ne me suis pas fait trop de souci. Anaël n’a pas servi dans une unité combattante. Je pense sans cesse aux parents de combattants. J’en profite pour saluer mon neveu Daniel qui sert dans une unité d’élite et qui est un hayal boded, un soldat seul.
Depuis qu’elle est de nouveau dans le civil, Anaël travaille dur, elle donne des cours de surf chez Galim et elle vend du thé au Palais des Thés. Elle met de l’argent de côté pour son grand voyage. Elle part le 3 septembre surfer de l’autre côté du monde. Je vais sans doute regretter les mois où elle était soldate !
La première partie du titre de ce billet est une paraphrase de l’excellent livre de Valérie Zenatti : Quand j’étais soldate, 2002, Ecole des Loisirs