La dernière interview d’Amos Oz
Le 30 octobre 2018, la chaîne publique de télévision israélienne a diffusé une longue interview d’Amos Oz. Meïr Waintrater a publié sur sa page Facebook les passages essentiels qu’il a traduit en français et m’a donné l’autorisation de les reproduire ici. Je l’en remercie.
SUR LA HAINE
La leçon des dernières années est que le “cadeau” fait par Hitler et Staline, il y a quatre-vingt ans, est périmé. Hitler et Staline n’avaient pas l’intention de nous faire un cadeau, mais sans le vouloir ils ont légué au monde un certain sentiment de honte face au racisme et à la xénophobie. Or les gens redécouvrent la haine. Ils se lèvent le matin, et se mettent à haïr tous ceux qui ne leur ressemblent pas. C’est effrayant. Je ne crois pas qu’un homme qui pratique chaque jour la haine puisse être un homme heureux.
SUR SON MESSAGE
Je ne suis pas un retraité qui passe la journée sur son balcon et boit un verre de vin chaque soir ; j’écris, je parle, je donne des conférences, je m’exprime. Mais je comprends parfaitement que le porteur d’un nouveau message ne doit pas être un mâle ashkénaze nanti et âgé. Je crois que le message doit venir de femmes et d’hommes plus jeunes, issus d’horizons très différents du mien. Cela fait des dizaines d’années que je parle, il est temps que d’autres prennent la parole.
SUR LA SOLUTION À DEUX ÉTATS
Il est intéressant de voir la droite colonisatrice et la gauche post-sioniste se mettre d’accord pour nous dire que la situation dans les territoires serait irréversible. Je crois que le seul fait irréversible est la mort (et je dois en faire personnellement l’expérience avant d’en être tout à fait certain). L’histoire, telle qu’elle s’est déroulée sous mes yeux, regorgeait de bouleversements imprévus. L’avenir tel que je le prévois, c’est-à-dire la solution à deux États, se réalisera-t-il à coup sûr ? Non. Cet avenir est-il possible ? Selon moi, il n’est pas seulement possible, il est absolument nécessaire.
Les gens qui déclarent : “Mettez-vous tous les deux dans le même lit, commencez à faire l’amour et non la guerre”, ces gens-là disent n’importe quoi. Après un siècle de violence et de haine, il est impossible de faire lit commun et d’entamer la lune de miel de l’État binational. Nous devons diviser la maison en deux appartements, devenir voisins ; et peut-être, un jour, deviendrons-nous des amis. C’est ainsi que les choses se passent entre les humains.
SUR LA DÉMOCRATIE EN ISRAËL
Je suis inquiet quant à l’avenir de la démocratie en Israël, en raison des lois récentes dont beaucoup, sans être nécessairement fascistes, sont inutiles. Il est inutile d’édicter des lois pour nous faire aimer notre pays. Nous n’avons pas besoin d’une loi sur la fidélité [à l’État d’Israël] ni d’une loi définissant la nature [juive] de l’État.
Ayez un peu confiance. La plupart des Israéliens aiment Israël, bien que ce ne soit pas toujours facile. J’aime Israël, bien que souvent Israël fasse tout pour que je ne l’aime pas. Il ne faut pas édicter des lois sur la fidélité et l’amour, il faut être digne de fidélité et d’amour.
SUR SON STATUT D’ÉTERNEL MINORITAIRE
Je vais vous révéler un secret: de toute ma vie, je n’ai jamais été dans le camp majoritaire. J’ai grandi dans une famille appartenant au parti Hérout [de Menahem Begin]. Nous étions minoritaires. Durant de longues années j’ai été un ami proche de [Shimon] Pérès, et un peu aussi de [Yitzhak] Rabin. Mais ce n’est pas un secret que je n’ai jamais voté pour eux, et ils le savaient. Ma vie durant, j’ai fait partie de la minorité.
SUR LA RÉVOLUTION FÉMINISTE
La révolution féministe rend le monde meilleur. Elle corrige un mal qui dure depuis des millénaires. Comme dans tout mouvement qui aspire à la justice, on y trouve des éléments marginaux qui ne recherchent plus la justice mais la vengeance. Ce sont ces éléments marginaux que je crains, et non le mouvement dans son ensemble.
Entre l’aspiration à la justice et la soif de vengeance, la frontière est très mince. Aucun mouvement n’est vacciné contre le fanatisme – ni le mouvement politique auquel j’appartiens moi-même, ni le mouvement féministe.
SUR LE BILAN DE SA VIE
Bien sûr, j’ai peur de la mort. J’y pense souvent. Au cours de ma vie j’ai reçu beaucoup de coups, dans le domaine privé comme dans le domaine public. Mais, durant les dizaines d’années de mon existence, j’ai reçu tant de cadeaux : l’amour, les livres, la musique, les lieux… Rien de tout cela ne m’était dû, personne n’a signé de contrat en ma faveur. Je suis éternellement reconnaissant.
Je voudrais partir avec le sentiment de n’avoir délibérément blessé personne. J’aimerais croire, en quittant ce monde, que certaines de mes paroles ont pu réconforter des personnes, en déranger ou en ébranler d’autres. Si je sais qu’une petite partie des dizaines de milliers de mots que j’ai écrits a eu une influence sur la vie de quelques personnes, cela me suffit : j’aurai quelque chose à montrer, là-haut, à la porte d’entrée.
L’interview en hébreu :
TORDJMAN Charles
Déc 31, 2018 @ 14:58:59
MERCI BEAUCOUP POUR CE GRAND TÉMOIGNAGE D’HUMANISME.
MES CONDOLÉANCES ATTRISTÉES .
MES VOEUX LES MEILLEURS POUR L’ANNÉE NOUVELLE.
Gigi
Jan 01, 2019 @ 20:09:44
Merci Rachel, pour cette initiative! Bravo à Meïr pour la traduction.
Amos Oz laisse un grand vide, et ses articles et interventions nous manqueront.
Espérons que l’année 2019 nous apportera des bonnes nouvelles!
Gigi
Paul
Jan 30, 2019 @ 03:00:36
Dd la grandeur, egalement un visionaire, s attaquant aussi bien aux problemes relationels, qu a la geopolitique d israel. Le courage de Oz de dire pourquoi l urgence de 2 etats. Qui rejoint les signatures de 283 generaux ayant ouvert un bureau a bruxelles.
Le xx eme siecle a ete.le siecle d israel et celui d’Amoz Oz.
Paul