La Maison de ruines, Ruby Namdar

Une note de lecture d’Agnès Bensimon sur LA MAISON DE RUINES, RUBY NAMDAR, éditions BELFOND, traduit de l’américain par Sarah Tardy, 547 p, paru le 6 septembre 2018

Un premier roman magistral qui inscrit son auteur dans la lignée des plus grands écrivains américains, tels Philip Roth ou Saul Bellow mais aussi Tom Wolfe, John Irving…

Ruby Namdar, pourtant, est né en 1964 à Jérusalem, d’une famille juive iranienne traditionnaliste. S’il vit à Manhattan depuis l’an 2000, enseigne la littérature juive à l’Université de New York, il a écrit dans sa langue maternelle, l’hébreu, ce roman totalement immergé dans la culture new-yorkaise.

La maison de ruines a été couronné, à sa sortie en 2013, du prix Sapir, la plus haute distinction littéraire en Israël. Fait exceptionnel car il a été décidé ensuite de ne plus jamais attribuer ce prix à un auteur vivant en diaspora, fût-il hébraïsant et israélien…

Ruby Namdar crée en effet un pont entre les deux cultures qui l’habitent. Cette dualité des mondes se trouve être à l’épicentre du roman que son auteur a mis dix ans à écrire. Il lui fallait trouver la structure narrative adéquate pour cette œuvre foisonnante, empreinte de mystère, d’hallucinations mystiques et d’humour caustique.

Tout se joue sur le télescopage des temps, comme le déplacement souterrain des plaques tectoniques qui s’entrechoquent en un endroit précis à la surface de la terre. Les temps bibliques se prolongent depuis la Création et le roman s’ouvre en l’an 5760, au sixième jour du mois hébraïque d’Eloul. Pour Andrew Cohen, le protagoniste, c’est le 6 septembre 2000. Professeur de littérature comparée à l’Université de New York, il prépare le thème de l’année universitaire toute proche, tranquillement attablé à la cafétaria. De par la volonté diabolique de son créateur, il va être à son insu le point de jonction, d’affrontement des sphères célestes et terrestres, dès les premières lignes du roman. Le récit s’étend sur une année (biblique et civile, on l’aura compris) au cours de laquelle la vie exaltante de ce brillant et séduisant intellectuel, honoré, respecté et heureux en amour, va virer au cauchemar. Assailli par de terrifiantes visions de massacres, de la Shoah et de la destruction du Temple de Jérusalem, désarçonné de sa routine hédoniste, il sombre dans une profonde dépression.

Être un Cohen n’est pas anodin.

De nombreuses lois régissaient les faits et gestes du Grand Prêtre, en particulier à la veille de Kippour lors des sacrifices d’expiation des fautes afin que le Tout Puissant pardonne à son peuple. De son état de pureté totale dépendait le sort des siens… Féru de culture juive et biblique depuis sa jeunesse, Ruby Namdar, ponctue le roman de fragments d’un autre livre qui émerge, à intervalles réguliers, sous la forme graphique de pages du Talmud. Le texte central, complètement fictif, relate l’histoire d’un grand Prêtre célébrant Kippour, racontée par un observateur, mais les fragments cernant ce récit sont extraits de sources bibliques et talmudiques avérées.

Le professeur Cohen, qui est à peine un Juif de Kippour, subit à distance et inconsciemment les résurgences d’une histoire qui relie et confronte le présent à un passé millénaire, ouvrant par ailleurs la brèche à la notion de réincarnation dans le judaïsme.

Ce roman, d’une grande érudition, donne vie à un personnage d’une extraordinaire richesse, non sans tendresse et avec un humour subtil qui nous tiennent en haleine.

La maison de ruines s’érige sur un emboîtement des pierres du Second temple détruit par les flammes, des corps brûlés du peule juif, de l’Inquisition à la Shoa, de l’effondrement des tours jumelles, dans la maison à la dérive du professeur Cohen.

« Un chef d’œuvre » pour reprendre l’avis du New York Times Book Review. Et une lecture tout indiquée, au moment où notre sort va être scellé. 

©Agnès Bensimon