Pourim en judéo-occitan
Nathan Weinstock m’a envoyé pour Pourim un délicieux extrait de la paraphrase de la Meguilah d’Esther en judéo-occitan rédigé vers 1328 par le trouvère Crescas [Israël en occitan] du Caylar d’Avignon en se servant des caractères de l’alphabet hébraïque (traduction due à MMes S. Méjean-Thiolier et M.-Fr. Notz-Grob in Nouvelles Courtoises, Le Livre de Poche, 1997).
Ce texte est cité et commenté parmi beaucoup d’autres dans l’ouvrage suivant, actuellement sous presse : Nathan Weinstock, Le Livre d’Esther dans la tradition occitane judéo-comtadine, Institut d’Estudis Occitan
« Vasthi fit mander de tous côtés
les nobles dames qu’elle invita ;
pour toutes elle fit faire un très beau banquet.
Inutile de dire ce qu’elle leur donna.
Le roi ne sut pas être assez attentif
pour éviter l’ivresse
à la fin de la semaine.
Le vin lui affaiblit la tête
et le rendit véritablement enragé,
tant il était ivre
Les écuyers enlevèrent les tables
et les chevaliers se mirent à parler.
Chacun vanta les dames de son comté.
Le roi leur dit : « Par la charité,
il n’y a pas plus belle dame au monde
que la reine, ni d’aussi bonne ;
et je vous le promets de bonne foi :
vos yeux témoigneront du fait
que Dieu ne fit jamais aussi belle créature,
vous la verrez sur-le-champ. »
texte occitan :
Per tota part Vasti mandet,
164 Las gentils donas envidet :
A totas fes mot bel manjar.
Qe lor donet non cal dechar.
Tant non se saup estudiar
168 Qe non s’anes enubriar
Lo rei al cap de la semana ;
El ac del vin la testa vana,
En fon verai enrabïat
172 Tant fort se fon enubriat.
Los escudies levan las taulas
E los cavaliers movon paraulas.
Cascun gabet las donas de son contat ;
176 Lo rei lor dis : Per caritat,
Al mont non a tant bel dona
Con la regina, ni tant bona ;
E promet vos en bona fe
180 Qe vostres olhs en faran fe
Q’anc Dieu non fes tant bela res
E mentenant vos la veires
« Il appela ses sept principaux chambellans
et leur commanda : « Allez vite
et menez moi nue
Vasthi la belle créature.»
texte occitan :
Sonet sos set cambries majors
184 Comandet lor : « Anas de cors
E menas me ses vestidura
Vasti la bele creatura. »
« Ils s’en vont frapper à la porte
des appartements où la reine s’amuse ;
ils disent : « Ouvrez vite, car on apporte un présent,
le roi dîne en bas dans le jardin
et vous fait porter
quelque nourriture fraiche de son assiette. »
Ils entrent et vont très soucieux
avec de méchants regards renfrognés.
Vasthi les voit de mauvaise humeur
et qui semblaient en colère.
Elle leur demanda sur-le-champ :
« Mes gracieux seigneurs,
pourquoi faites-vous une mine si épouvantable ?
On dirait que vous n’avez pas encore dîné.
– Dame, le roi veut que vous nous suiviez,
n’ayez aucun vêtement.
Il veut montrer votre grande beauté ;
c’est pour cela qu’il nous a envoyés. »
Quand Vasthi a entendu
elle dit : « le roi est-il si grossier ?
Je crois qu’il a vraiment perdu la raison,
car il n’est pas convenable de dire
qu’une dame doive se montrer nue à la cour.
Vous lui direz donc tout court
de ne pas se mettre en peine de cela ;
ce me serait une trop grande honte. »
texte occitan :
Van s’en tabussar a la porta
188 Von la regina se desporta;
Dis : Ubres leu, que prezent port,
Lo rei se dina aval en l’ort
E tramet vos de s’escudela
192 De calque vianda novela.
Entran e van mot consiros
Am mal esgart e ferezos,
Vasti los ve mal encaras,
196 E pareisia qe iran irats.
Demandet lor de mantenent :
Senhors cortes e avinent,
De que nos fes tant ora cara ?
200 Sembla non sias dinatz encara.
Dona – lo rei vol que nos sigas,
Nulha vestidura non prengas.
Mostrar vol vostra gran clardat;
204 Per so nos aisi mandat.
Cant Vasti aca iso auzit,
Dis : Es lo rei tant descauzit ?
Ieu non cre qe sia de menz.
208 Qe el non sia issit de senz,
Car aiso non es bel de dir
Qe nulha dona ses vestir
Se deja mostrar en cort.
212 Per qe li digas tot cort
Qe en aiso non meta ponha ;
Trop me seria gran vergonha).
« Il semble bien qu’il ait trop bu
pour en être venu à cela.
Il ne ressemble guère à mon aïeul,
si bon et si sage,
qui pouvait boire du vin autant qu’un bœuf
et ne chancelait pas d’un pouce.
Qu’il ne me fasse pas parler davantage :
je sais bien qui était son père ;
il paraissait bien un rustre
et gardait les juments de mon père.
Dites-lui donc de se mettre au lit ;
ne m’en parlez plus.
Sachez sûrement, seigneurs, qu’il attend en vain,
car je n’irai pas nue à la cour ».
texte occitan :
Ben par qe trop aja begut,
216 Qe en aiso en sia vengut.
Mal sembla mon senher avi
Qe tant bon e tant savi,
Que begra de vin por un bou
220 E el non balanzera un ou.
Non me fassa parlar gaire :
Ieu sai ben qi era non paire ;
Vilan de natura semblava,
224 Las egas de mon paire gardava.
Ar li digas torne colgar ;
Non mi cal plus d’aiso pregar.
Sapias per cert, senhors, qu’el muza,
228 Car ieu en el cort non venrai nuza.)