L’art de perdre d’Alice Zeniter

J’aurais eu envie qu’elle reçoive le prix Goncourt sans même avoir lu les autres livres en lice. Parce que cela faisait longtemps que je n’avais pas ressenti un tel élan dans l’écriture, une telle intelligence dans l’art de raconter. Dans  « L’art de perdre » d’Alice Zeniter aux éditions Flammarion,  on parle d’Algérie, de famille, d’identité, d’appartenance, d’exil, d’absence, de silence.  C’est la première fois, à ma connaissance que l’histoire des harkis a été racontée. Alice Zeniter, en se référant à l’Enéïde, emploie le mot « chantée ». Et son livre a un souffle presque mythologique. Une épopée de plus de cinq cents pages. La rencontre de la grande Histoire avec sa grande hache, comme disait Perec, avec le destin d’un homme et de sa famille. En arabe, on dit mektoub. « La vie est faite de fatalités irréversibles et non d’actes historiques révocables. » écrit la narratrice au début du livre. C ‘est donc l’histoire d’une famille de Kabyles qui depuis des temps immémoriaux habitent au même endroit, sur la même crête,  et qui se voient forcés à partir en France, ils ne sont pas rapatriés puisque la France n’était pas leur patrie. Ali, le grand-père, qui parlait à peine le français, s’enfermera dans le silence, tandis que son fils aîné Hamid partira à la conquête de la langue française. Il épousera Clarisse, s’installera en Normandie et ne parlera jamais de l’Algérie. C’est sa fille Naïma qui, un peu malgré elle, un lendemain de cuite, se demande si « elle a oublié d’où elle vient ».

Le roman est construit d’une façon très habile, un dédoublement entre la narratrice et Naïma, le personnage principal, un alter ego qui met encore plus en évidence la problématique de l’identité et de la place de chacun. En lisant ce livre, j’ai découvert une histoire et je me suis interrogée sur la mienne, – ma famille vient d’Algérie, des Juifs algériens devenus Français par le décret Crémieux -, par delà les différences, j’ai retrouvé des expressions et des manières d’être communes.

Je ne connaissais pas Alice Zeniter. Elle a à peine plus de trente ans et déjà quatre romans. Je vais lire les anciens et attendre les prochains. J’en profite pour remercier mon amie Valérie qui, enthousiaste, a arrêté sa lecture en route pour me laisser son livre.

L’Art de perdre est aussi un poème d’Elisabeth Bishop :

Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître ;
tant de choses semblent si pleines d’envie
d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre.

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