La prière d’Esther de Racine
Je viens de terminer la lecture de Titus n’aimait pas Bérénice de Nathalie Azoulai, Prix Médicis 2015, qui m’a donné envie de me replonger dans la lecture de Racine. A l’approche de Pourim, voici la prière d’Esther. C’est Madame de Maintenon, la femme de Louis XIV qui fit appel à Racine pour qu’il écrive une pièce pour ses protégées, les « Demoiselles de Saint-Cyr ». Elles jouèrent Esther le 26 janvier 1689, puis, le 5 janvier 1691, Athalie.
Acte I, scène 3
Esther, Mardochée, Elise, Le Chœur
ESTHER.
Allez : que tous les Juifs dans Suse répandus,
A prier avec vous jour et nuit assidus,
Me prêtent de leurs vœux le secours salutaire,
Et pendant ces trois jours gardent un jeûne austère.
Déjà la sombre nuit a commencé son tour :
Demain, quand le soleil rallumera le jour,
Contente de périr, s’il faut que je périsse,
J’irai pour mon pays m’offrir en sacrifice.
Qu’on s’éloigne un moment.
(Le chœur se retire vers le fond du théâtre.)
Acte I, scène 4
Esther, Elise, Le Choeur
Ô mon souverain roi,
Me voici donc tremblante et seule devant toi !
Mon père mille fois m’a dit dans mon enfance
Qu’avec nous tu juras une sainte alliance,
Quand, pour te faire un peuple agréable à tes yeux,
II plut à ton amour de choisir nos aïeux :
Même tu leur promis de ta bouche sacrée
Une postérité d’éternelle durée.
Hélas ! ce peuple ingrat a méprisé ta loi ;
La nation chérie a violé sa foi ;
Elle a répudié son époux et son père,
Pour rendre à d’autres dieux un honneur adultère :
Maintenant elle sert sous un maître étranger.
Mais c’est peu d’être esclave, on la veut égorger :
Nos superbes vainqueurs, insultant à nos larmes,
Imputent à leurs dieux le bonheur de leurs armes.
Et veulent aujourd’hui qu’un même coup mortel
Abolisse ton nom, ton peuple, et ton autel.
Ainsi donc un perfide, après tant de miracles,
Pourrait anéantir la foi de tes oracles,
Ravirait aux mortels le plus cher de tes dons,
Le Saint que tu promets et que nous attendons ?
Non, non, ne souffre pas que ces peuples farouches,
Ivres de notre sang, ferment les seules bouches
Qui dans tout l’univers célèbrent tes bienfaits ;
Et confonds tous ces dieux qui ne furent jamais.
Pour moi, que tu retiens parmi ces infidèles,
Tu sais combien je hais leurs fêtes criminelles,
Et que je mets au rang des profanations
Leur table, leurs festins, et leurs libations ;
Que même cette pompe où je suis condamnée,
Ce bandeau dont il faut que je paraisse ornée
Dans ces jours solennels à l’orgueil dédiés,
Seule et dans le secret, je le foule à mes pieds ;
Qu’à ces vains ornements je préfère la cendre,
Et n’ai de goût qu’aux pleurs que tu me vois répandre.
J’attendais le moment marqué dans ton arrêt,
Pour oser de ton peuple embrasser l’intérêt.
Ce moment est venu : ma prompte obéissance
Va d’un roi redoutable affronter la présence.
C’est pour toi que je marche : accompagne mes pas
Devant ce fier lion qui ne te connaît pas;
Commande en me voyant que son courroux s’apaise,
Et prête à mes discours un charme qui lui plaise :
Les orages, les vents, les cieux te sont soumis ;
Tourne enfin sa fureur contre nos ennemis.
Marc
Mar 10, 2017 @ 12:02:46
pardi, il l’avait dans ses tripes…