De David Pinkas à Brigitte Bardot
La rue David Pinkas est une rue large et aérée avec des jardins autour des bâtiments, des trottoirs spacieux bordés de pistes cyclables, de la place pour stationner, un terre-plein qui sépare deux voies de chaque côté. Une rue à quatre voies en ville.
J’ai marché sur cette longue rue, à partir d’Ibn Gvirol jusqu’à Derech Namir, trottoir côté Sud tout en pensant à ce que j’avais découvert sur David Pinkas.
Je dépasse un petit passage vers la rue Itshak Epstein, où les arbres ont des troncs presque comme des baobabs. Ce sont des brachychitons (merci Charles !), aussi surnommés arbres-bouteilles, à cause de leurs troncs bedonnants où ils stockent de l’eau. Je remarque un tronçon de palmier devant l’ambassade de Hongrie.
Je note une longue barre brutaliste, assez harmonieuse, qui s’étire du n°32 au n°40.
Au n°42, et au n°44, c’est un ensemble de deux tours connectées par trois ponts. Le compositeur israélien Moshe Wilensky (1910-1998) a habité et travaillé dans ce bâtiment. La musique de la célèbre chanson Kalaniot, Anémones, chantée par Shoshana Damari, est de lui sur des paroles de Nathan Alterman en 1945. Une partie de la 6e division aéroportée de l’armée britannique, qui avait participé au Débarquement de Normandie et à la Bataille des Ardennes, avait été envoyée en septembre 1945 en Palestine mandataire. Les soldats britanniques portaient des bérets rouges et cette chanson sentimentale où il est question de fleurs rouges, devint un symbole de résistance des Juifs du Yichouv.
Au n°50, encore une tour impressionnante dans le genre brutaliste, entourée d’un très joli jardin. Je n’en finis pas de me réjouir de la végétation de Tel Aviv.
Au fur et à mesure que j’avance vers Derech Namir à l’Est, la hauteur des bâtiments s’élèvent.
Les trois tours des n°62-64-66 mesurent cent vingt-trois mètres de haut. C’est un exemple de l’architecture post-moderniste de Tel Aviv. Verre, granit et béton. Leur construction a duré de 1999 à 2006. L’ancien Premier ministre Ehoud Barak avait fait beaucoup jaser quand il y avait acheté un appartement très cher, revendu depuis. Leur nom officiel est Migadlei Tsameret mais on les a surnommé Migdalei Akirov du nom de leur promoteur Alfred Akirov, à la tête d’Alrov, société cotée à la bourse 100 de Tel Aviv depuis 1983. Alrov a été impliqué dans la rénovation du quartier de Mamilla, près de la Vieille ville de Jérusalem. En 2010, le groupe Alrov a acquis l’hôtel Lutetia, en travaux jusqu’au moins 2017. Intéressant revirement de l’Histoire, l’hôtel parisien créé en 1910, qui a abrité les services de renseignement allemands pendant l’Occupation puis les déportés de retour des camps, et où, plus tard, Albert Cohen a écrit Belle du Seigneur. est maintenant la propriété d’un groupe israélien.
J’arrive au carrefour de Derech Namir et je fais demi-tour, le soleil se couche entre deux palmiers au bout de la rue David Pinkas.
Mais qui était donc David Zvi Pinkas ? Il est né en Hongrie en 1895, il a grandi à Vienne, il fait son alyah en 1925. Il est l’un des signataires de la Déclaration d’Indépendance d’Israël. Il devient parlementaire puis ministre des Transports. Pendant dix-huit ans, il a été à la tête du Département d’éducation de la municipalité de Tel Aviv.
En 1952, Israël souffre d’une pénurie de carburant, David Pinkas, alors ministre des Transports, propose que les voitures soient interdites de circulation deux jours par semaine mais donne au Shabbat une valeur de deux jours. Les « partisans de la laïcité », fulminent et posent un engin explosif devant son domicile, crise cardiaque et mort s’ensuivent. Bizarre, je n’avais jamais entendu parler de cette histoire. Un peu de recherche et je découvre que l’un des poseurs de bombes n’était pas n’importe qui mais l’écrivain, journaliste, peintre et sculpteur, Amos Kenan. A l’époque, il est innocenté faute de preuves mais sa femme Nurit Gretz, dans Impénitent un livre qu’elle écrit sur lui, laisse entendre qu’il était responsable. Il est le père de Rona Kenan, une chanteuse israélienne que j’apprécie énormément. Suite à cet épisode, Amos Kenan quitta Israël pour Paris où il résida jusqu’en 1962 notamment à la Villa Ottoz détruite en 1976, rue Piat, à Belleville dans le 20e arrondissement. Il habitait au rez-de-chaussée avec Christiane Rochefort, le peintre Pierre Alechinski était au premier étage.
Comme mon projet Tel Aviv, en marchant, en écrivant me surprend ! Il me déroute, dans tous les sens du terme. Ainsi, la rue David Pinkas (et il faut que je fasse un effort en marchant dans cette rue pour ne pas imaginer que cette épisode a eu lieu ici !) m’a amené à un acte criminel des années cinquante commis par Amos Kenan qui s’éloigne de la scène du crime en allant vivre à Paris où il rencontre Christiane Rochefort qui s’est inspirée de lui pour écrire son roman Le Repos du Guerrier dont Roger Vadim tire un film, (que je n’avais jamais vu mais que, pour les besoins de l’écriture de cette promenade, j’ai regardé) avec Robert Hossein dans le rôle d’Amos Kenan et avec Brigitte Bardot.
Grâce à la marche, je flâne des tours Akirov à l’hôtel Lutétia et de la rue David Pinkas à Belleville et à Brigitte Bardot !
Lire la marche précédente :
Autour de la Gymnasia Herzliya, promenade studieuse
Date : 30 août 2016, 26 av 5776
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