La révolte du ghetto de Varsovie

J’accueille, dans le cadre de mon Billet de l’Invité(e), Joël Guedj du site ourielpost.com

La révolte du ghetto de Varsovie

Il y a 72 ans éclatait l’insurrection du ghetto de Varsovie, l’un des faits majeurs  de la résistance juive contre le nazisme ; le jour anniversaire de la fin du soulèvement a été proclamé Jour souvenir de la Shoah. Deux monuments identiques ont été érigés pour commémorer cet événement, l’un à Varsovie et l’autre au Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem.

Les ghettos créés par les nazis, celui de Varsovie ainsi que tous les autres en Europe Orientale, s’inscrivent comme une étape essentielle de l’extermination radicale des juifs partout où s’installe la domination allemande. Selon Heydrich, chef suprême du service de sécurité, dans son instruction, selon le point cinq, la « concentration des juifs dans les grandes villes » est le prélude à la Solution finale.

Dès le 4 octobre 1939 un notable, Adam Czerniakow, reçoit l’ordre de créer en vingt quatre heures, un Conseil juif, un Judenrat. En novembre, le recensement des juifs de la ville dénombre 360 000 personnes. En septembre 1940, le quartier juif est mis en quarantaine : le ghetto est ainsi créé, toutes les issues, portes, fenêtres et rues donnant sur le côté aryen sont murées ou totalement  fermées.

Pour les habitants du ghetto, c’est le temps du combat pour prolonger la durée biologique : il y a déjà une résistance pour la survie. Pour les autorités allemandes, la volonté de tuer par la faim est manifeste en appliquant une politique draconienne de rationnement. Entre octobre 1939 et juin 1942 100 000 personnes succombent à cause de la faim et des épidémies.

Dès l’application de la Solution finale, bien que la mise en scène par les nazis soit tenue secrète, les informations commencent à circuler sur ce qui se déroule. Ainsi, à Varsovie, on apprend ce qui se commet à Treblinka, camp d’extermination où les juifs du ghetto de Varsovie sont envoyés à partir de 1942.

La terreur nazie fonctionne implacablement, elle accentue ses demandes de quotas pour une « réinstallation à l’est », en langage codé. Entre juin et septembre 1942, depuis Varsovie, près de 300 000 juifs sont déportés vers Belzec, Maïdanek et surtout Tréblinka.

C’est de Vilna que l’idée de résistance juive va se diffuser dans toutes les communautés juives russes et polonaises. A Varsovie, le 28 juillet 1942, tous les mouvements politiques décident de créer l’Organisation Juive de Combat (OJC). La résistance se heurte d’emblée à des problèmes insurmontables : aucun secours extérieur n’est envisageable malgré les contacts existants avec la résistance polonaise et le gouvernement en exil à Londres.  L’armement introduit de l’extérieur ou fabriqué de façon artisanale à l’intérieur, est dérisoire. Face aux troupes allemandes bien entraînées, bien équipées, bien nourries, les combattants juifs ne peuvent aligner que des hommes affamés et presque désarmés. Tous sont conscients de l’inégalité de l’enjeu et pourtant le ghetto de Varsovie se soulève.

Dès janvier 1943, les événements s’accélèrent. La terreur nazie s’intensifie, Himmler face aux premiers actes de résistance juive armée, ordonne de liquider le ghetto de Varsovie car « la surface où habitaient cinq cent mille sous-hommes… doit disparaître. » En mars et avril, les appels du ghetto et de la résistance nationale polonaise, au moment de la mission Karski, partent vers le monde libre. Aucun des dirigeants alliés ne peut en ignorer l’existence.

 Le 19 avril 1943, veille de la Pâque juive, les troupes nazies, commandées par le Général Stroop, pénètrent dans le ghetto, munies de canons et de tanks afin d’exterminer tous ceux qui s’y trouvent, soit 55 000 personnes, et de raser l’emplacement.

 L’Organisation Juive de Combat ne compte que  220 combattants disposant d’un armement insignifiant et de faible puissance : 300 révolvers, dix fusils, 90 grenades, quelques bombes primitives et quelques centaines de cocktails molotov confectionnés dans le ghetto, ainsi qu’une certaine quantité d’explosifs.

Membre de l’organisation sioniste socialiste Hashomer Hatzaïr,  dès le début de l’occupation, Mordechaï Anielewitz, le commandant de l’OJC, âgé de 24 ans, a pressenti l’extermination à laquelle les juifs ne veulent pas croire.

Devenu chef de l’OJC, il regrette amèrement les années consacrées au seul travail culturel, alors que le combat commence quand 300 000 juifs ont été déportés. Dans une lettre adressée à son ami Isaac Zuckerman, commandant adjoint, il écrit le 23 avril 1943 :

« Une chose est claire, ce qui a eu lieu dépasse nos rêves les plus audacieux. Les Allemands ont par deux fois fui le ghetto. Une de nos compagnies a tenu bon 40 minutes et l’autre – plus de six heures. La mine posée dans la région des «fabricants de brosses» a explosé. Plusieurs de nos compagnies ont attaqué les Allemands qui se dispersaient. Nos pertes d’effectifs sont minimes. C’est aussi un exploit. Y. (Yechiel) est tombé. Il est tombé en héros, à la mitrailleuse. Je sens qu’il arrive de grandes choses et que ce que nous avons osé faire est d’une grande, d’une énorme importance… A partir d’aujourd’hui, nous allons adopter la tactique des maquisards. Trois compagnies de combat se mettront  en mouvement cette nuit, pour deux missions : reconnaissance et obtention d’armes. Rappelez-vous, les armes de courte portée ne sont d’aucune utilité pour nous. Nous ne les utilisons que très rarement. Ce dont nous avons besoin d’urgence c’est : des grenades, des fusils, des mitrailleuses et des explosifs. Les conditions dans lesquelles vivent actuellement les Juifs du ghetto sont indescriptibles. Quelques-uns seulement pourront tenir. Le reste mourra tôt ou tard. Leur sort est décidé. Dans presque tous les endroits où des milliers de personnes se cachent, il n’est plus possible d’allumer une bougie par manque d’air. Grâce à notre émetteur, nous avons entendu un merveilleux rapport sur notre combat par la radio «Shavit». Le fait qu’on se souvienne de nous au-delà des murs du ghetto nous encourage dans notre lutte. Que la paix soit sur vous mon ami ! Peut-être nous rencontrerons nous à nouveau ! Le rêve de ma vie est devenu réalité. La résistance juive armée et la vengeance sont des faits. J’ai été le témoin de ce combat magnifique et héroïque des Juifs. »

Dans ses rapports quotidiens, le général nazi Stroop se garde bien de mentionner la présence d’enfants parmi les « tués » ou « capturés ».

Les leçons de la révolte du ghetto de Varsovie sont doubles : l’une tragique, l’autre optimiste. Ainsi Samuel Zygelboim représentant du Bund auprès du gouvernement polonais à Londres, se suicide le 11 mai 1943, pour attirer l’attention du monde sur le drame qui se joue pour les juifs de Varsovie.

Bien que le combat soit désespéré il faut mettre en évidence le message  d’espoir légué par les insurgés. Si la résistance polonaise n’a pas fourni d’armes, elle n’a pas manqué pour autant d’exprimer son soutien politique à travers ses journaux clandestins. « Depuis une dizaine de jours, nous sommes témoins d’un spectacle inédit lequel, au delà de son aspect tragique, compromet et ridiculise les Allemands » lit-on dans le journal Szaniec (la Défense) du mois de mai 1943. Ces sentiments de sympathie et de solidarité ne sont nullement partagés par la grande masse de Polonais dominés par l’antisémitisme séculaire.

En France occupée, les premières nouvelles sur l’insurrection du ghetto de Varsovie, diffusées par la BBC, ont été captées fin avril par les écoutes radio de la résistance juive MOI à Paris. La plupart des militants originaires de Pologne, l’ont perçue comme une tragique confirmation de la fin du judaïsme polonais signifiant aussi la disparition de leurs familles. On peut lire dans les journaux clandestins juifs à Paris : « écoutez les cris de millions de nos frères suppliciés dans les camps de Pologne et dans les ghetto !… Le spectre de la défaite hante les bandits »  peut-on lire dans Notre parole n° 58 du  15 juin 1943.  En fait,  la révolte du ghetto de Varsovie a accéléré le processus d’unification de la résistance des juifs immigrés et par la suite, leur rapprochement avec le Consistoire Central au sein du Conseil Représentatif Israélite de France créé en 1944.

 Joël GUEDJ

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