XVIe siècle: l’exode sépharade vers la Terre Sainte
Neuvième épisode de notre feuilleton historique “Renaissance d’une nation: Les Juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste.” par Nathan Weinstock.
XVIe siècle: l’exode sépharade vers la Terre Sainte
A partir de 1517 la Palestine se trouve sous la domination des Turcs ottomans. Et l’empire ottoman, qui traverse alors son âge d’or sous les sultans Sélim Ier le Terrible (1512-1520) et Soliman le Magnifique (1520-1566), accueille à bras ouverts les Juifs espagnols et portugais expulsés de leur pays -respectivement en 1492 et en 1496 – afin d’encourager cette minorité dynamique de contribuer à la prospérité de leur Empire. Un grand nombre des réfugiés, dont de nombreux savants de premier ordre originaires d’Espagne, du Portugal et de Sicile, ne manqueront pas de s’installer en Terre Sainte ce qui contribue à revigorer le Yichouv. Ils s’adonnent soit au travail manuel et au commerce. D’autres consacrent leur vie à l’étude de la Torah avec le soutien de leurs coreligionnaires de la Diaspora.
Il s’agit d’une véritable renaissance sépharade, caractérisée par l’apparition d’importantes communautés à Jérusalem, à Tibériade, à Hébron et –surtout – à Safed. Ce renouveau spectaculaire de la vie juive locale au XVIe siècle (Cabale, mystique juive liée à l’attente messianique, impression d’ouvrages de spiritualité …) prolonge la tradition du judaïsme ibérique qui se perçoit comme une « nation » (Naçào) et dont l’identité se fonde tout à la fois sur la conscience d’une histoire collective partagée et d’une communauté de destin.
Sous l’impulsion du foyer mystique et millénariste que constitue Safed autour des figures du rabbin Isaac Louria et de son disciple Haïm Vital, on verra surgir une effervescence messianique continue, attente de la Rédemption intégrale marquée par l’apparition de plusieurs Messies autoproclamés, tout particulièrement au XVIe siècle, dont les plus célèbres sont le « Rédempteur » David Réubeni et le Marrane portugais Salomon Molcho. Tous deux se rendront en Palestine, le premier en 1523 et le second en 1525 (où son culte se poursuivra après son martyr à Mantoue en 1532). Comme tous les autres foyers juifs, tant sépharades qu’ashkénazes, le Yichouv sera traumatisé une génération plus tard par une nouvelle flambée messianique : l’apparition d’un autre prétendant au statut de Messie, Sabbataï Zevi, accompagné de son « prophète » Nathan de Gaza et qui finira par se convertir à l’islam.
Si Safed se trouve au cœur des emballements messianiques, Tibériade sera en revanche le siège d’une tentative de rétablissement des Juifs sur leur sol ancestral à l’initiative du Marrane espagnol Joseph Nassi (1524-1579), nommé duc de Naxos par le Sultan Sélim II dont il était devenu le conseiller. Il obtint ainsi la concession de la cité de Tibériade, qui était en ruines et qu’il souhaitait transformer en un centre manufacturier alimenté par l’industrie textile. A cette fin il y fit planter un très grand nombre de mûriers pour servir de nourriture aux vers à soie et importa de la laine mérinos d’Espagne. Selon certains – parmi lesquels il faut citer l’ambassadeur de France à Constantinople, Antoine de Pétremol – il avait des visées encore plus ambitieuses et aurait caressé le projet, à résonance messianique, de fonder un foyer national juif en Palestine. Ce qui est certain, c’est qu’il incita effectivement les Juifs d’Italie à venir s’installer dans la cité restaurée. Mais la nouvelle agglomération juive qu’il y vit édifier ne tarda pas à être abandonnée par ses habitants, peut-être – comme l’affirme Josué ha-Cohen d’Avignon dans « La Vallée des Pleurs » (1575) – en raison de l’hostilité de la population arabe environnante.
La cité se caractérisait par une floraison de cercles d’étude de la Cabale ainsi que par l’usage de l’hébreu comme langue parlée. Une imprimerie juive y fut fondée en 1576.
Il faudra certes attendre le début du XVIe siècle pour assister à une reprise du courant migratoire important, mais l’embrasement messianique perdure : ainsi à Prague en 1600 Rabbi Yehudah ben Bezalel Liwa (ou Loeb), surnommé le Maharal, – qui se refuse cependant à toute spéculation relative à la date de l’avènement du Messie – expose dans son traité Netsa’h Israël (« L’Eternité d’Israël ») que la dispersion du peuple juif constitue le préalable nécessaire à sa Rédemption future sur sa terre, salut ultime qui se trouve inscrite dans la loi même de l’Univers.
Nathan WEINSTOCK
Du « Vieux Yichouv » à la nation israélienne : un parcours bimillénaire
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Pour en savoir plus, lisez le livre de Nathan Weinstock, “Renaissance d’une nation: Les Juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste”
Lire la première partie: Du vieux Yichouv à la nation israélienne, un parcours bimillénaire
Lire la deuxième partie: Les communautés de la Diaspora, un attachement indéfectible à la Terre d’Israël
Lire la troisième partie: Présence juive en Terre Sainte et tradition islamique
Lire la quatrième partie: La condition des Juifs de Terre Sainte après la conquête arabe
Lire la cinquième partie: La minorité juive sous les Fatimides, les Croisés puis les Mamelouks
Lire la sixième partie: Le Yichouv après la conquête ottomane