Exaltation messianique et dissidence caraïte
Septième épisode de notre feuilleton historique “Renaissance d’une nation: Les Juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste.” par Nathan Weinstock.
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Pérennité de l’espoir du Retour : les vagues successives de migration juive en Terre Sainte du Xe au XIIIe siècles
L’espoir de voir restaurer le Temple de Jérusalem – qui vaut également comme métaphore du Retour en Eretz-Israël – n’a cessé d’animer les fidèles juifs et ce depuis l’époque romaine. Car si après l’incendie du Temple, Rome n’autorise les Juifs à se rendre sur le site du Temple de Jérusalem qu’une fois par an, ce jour-là, ils y affluent. Nous disposons à cet égard du témoignage d’un pèlerin chrétien anonyme de Bordeaux en l’an 333 : « Il y a là deux statues d’Hadrien et, non loin des statues, une pierre percée, que les Juifs viennent oindre chaque année, et ils se lamentent avec des gémissements, et déchirent leurs vêtements, et repartent ».
L’exaltation messianique, expression d’une tradition des opprimés.
Cet attachement invincible des Juifs à la Terre d’Israël revêt une évidente dimension messianique. Elle reflète l’espérance en la venue du Rédempteur qui restituera à la nation juive sa patrie et son Temple. D’où une succession ininterrompue de Messies autoproclamés qui se manifesteront au fil du temps. Tel Moïse de Crète au Ve siècle. Ou plus tard – à partir de la fin du VIIe siècle – les flambées messianiques, dont on retrouve la trace dans l’Apocalypse de Zéroubavel, que suscitent les victoires remportées par les armées arabes contre les empires perse et byzantin. Ces vagues d’exaltation se succèdent notamment sans désemparer en Mésopotamie : à Plougata en 647-650, avec le soulèvement armé de plusieurs centaines d’artisans juifs pauvres ; sous le règne du calife Abd-el Malik (685-705) ensuite, qui voit le tailleur Isaac ben Jacob d’Ispahan (surnommé Abou Issa) affirmer qu’il n’est autre que le Messie venu apporter la Rédemption aux Juifs comme aux Musulmans; puis ce sera Yûdghân, dit « le Juif », autre adepte du syncrétisme, qui entend abolir le Chabbath ainsi que les fêtes et cérémonies du calendrier israélite, tout en préconisant la restauration de la souveraineté nationale juive ; et son disciple Mush’ha, qui fonde également un courant messianique ; en 720, sous le règne du calife Omar II, c’est un certain Serenus (ou Severus) qui entend restaurer le Temple ; et vers 750, c’est l’apparition en Palestine d’un nouvel écrit juif de nature apocalyptique (Nistaroth chel Rabbi Chimon ben Yo’haï ,« Les secrets de Rabbi Siméon ben Yo’haï ») qui annonce l’arrivée imminente du Messie.
Tous ces Messies autoproclamés concrétisent une aspiration continue à la Rédemption, laquelle n’est autre chose que l’expression millénaire des désirs qui animent ces « exclus de l’histoire ». Espérance que Walter Benjamin a qualifiée de « tradition des opprimés ».
Les « Endeuillés de Sion » et la dissidence caraïte
On peut déceler derrière ces courants messianiques utopiques populaires une sourde opposition aux autorités rabbiniques, fracture qui reflète l’opposition des cercles d’insoumis, qui aspirent à la restauration d’un royaume juif, aux notables qu’ils jugent plus ou moins réconciliés avec la domination étrangère. Rien n’illustre mieux ce clivage que le mépris ressenti par l’establishment rabbinique de Babylone envers le mouvement ascétique populaire des Aveleï Tsiyone (les « Endeuillés de Sion»), particulièrement nombreux à Jérusalem.. Car il ne ménagera pas ses railleries envers ces fidèles qui persistent à pleurer la destruction du Temple et la chute du royaume juif.
Fracture qui a joué un rôle non négligeable dans l’apparition de l’« hérésie » des Caraïtes qui connut son âge d’or aux Xe –XIe siècles. Ce courant schismatique du judaïsme, apparu initialement en Babylonie au VIIIe siècle, se distingue par le rejet de la tradition rabbinique orale et un attachement au sens littéral des écrits sacrés. Vers l’an 860 des membres de cette secte s’installent en Palestine – à Jérusalem, à Ramleh et à Tibériade – pour se regrouper autour de la forte personnalité d’Anan ben David, qui se fixe à Jérusalem, y fonde sa propre synagogue et se met à recruter des partisans. Au nombre de ceux-ci figure A’hima’az ben Paltiel, qui exerçait la fonction de vizir auprès du calife maghrébin al-Mu’izz au cours de la seconde moitié du Xème siècle. Ce haut dignitaire persuadera son maître de verser des subsides aux Caraïtes et obtient pour eux le droit d’acquérir une synagogue sur le mont des Oliviers et de prier à la Porte d’Or devant le mur oriental du Temple ainsi que de faire le tour de l’ancien Temple à l’occasion des fêtes. Le courant caraïte qui incarne une renaissance des courants eschatologiques, en liaison étroite avec la réapparition des visions apocalyptiques et de l’espérance messianique, se propagera dans la Diaspora après avoir mûri en terre d’Israël.
Nathan WEINSTOCK
Du « Vieux Yichouv » à la nation israélienne : un parcours bimillénaire
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Pour en savoir plus, lisez le livre de Nathan Weinstock, “Renaissance d’une nation: Les Juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste”
Lire la première partie: Du vieux Yichouv à la nation israélienne, un parcours bimillénaire
Lire la deuxième partie: Les communautés de la Diaspora, un attachement indéfectible à la Terre d’Israël
Lire la troisième partie: Présence juive en Terre Sainte et tradition islamique
Lire la quatrième partie: La condition des Juifs de Terre Sainte après la conquête arabe
Lire la cinquième partie: La minorité juive sous les Fatimides, les Croisés puis les Mamelouks
Lire la sixième partie: Le Yichouv après la conquête ottomane