Le Yichouv après la conquête ottomane

Sixième épisode de notre feuilleton historique “Renaissance d’une nation: Les Juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste.”  par Nathan Weinstock. 

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Après la conquête ottomane 

En 1527 le sultan Soliman Ier entreprit la reconstruction de l’enceinte murale de Jérusalem.  Le quartier juif comptait alors quatre synagogues et les  Juifs étaient autorisés à exercer toutes les professions, sans restriction. L’artisanat (tissage, bijouterie, cordonnerie, tannerie) représentait leur occupation principale, mais nombre d’entre eux étaient maçons, tailleurs, portefaix, domestiques,  piqueuses, maîtres d’école et – surtout – colporteurs. Ils tenaient un des quatre marchés couverts de la ville, celui des épices. Dans la ville haute, les marchands juifs avaient édifié un khan (caravansérail) aux abords de la citadelle. D’après Israël de Pérouse, arrivé peu après la conquête ottomane, les boutiquiers juifs vendaient de l’huile, du savon et des comestibles, mais sans grand succès. Ceux qui étaient marchands ambulants (orfèvrerie, tissus ou cordonnerie) et se déplaçaient de village en village s’en tiraient un peu mieux. La ville comptait alors 300 familles juives, dont plus de 500 veuves. Entre 1525 et 1553, la population juive totale de Jérusalem passera de 5.607 à 15.992 âmes et sa composante juive de 1.194 à 1.944, soit une augmentation de 45%.

La population juive s’accrut notablement, surtout d’un grand nombre de savants talmudistes, presque tous sépharades, dont la condition matérielle déplorable contrastait avec la prospérité des marchands juifs, fréquemment d’origine italienne. Alors que les orfèvres, bijoutiers, tisserands et cordonniers gagnaient convenablement leur vie, les autres en étaient réduits à se faire colporteurs dans les villages environnants. Entre 1525 et 1553, la population juive de Jérusalem est passée de 1.194 à 1.944 âmes (au cours de cette période la population totale avait triplé, passant  de 5.607 à 15.992 âmes).

Après la conquête turque, la minorité juive se trouve assujettie aux pachas ottomans. Et ceux-ci considèrent tout naturellement les Juifs – tout comme les autres sujets tributaires de l’empire, mais spécialement les dhimmis – comme du bétail (des rayas), destiné à subir toutes les formes d’extorsion possibles. De toute manière, aux yeux de ces exploiteurs sans scrupules tout prétexte était bon pour saigner à blanc la population juive de Palestine. Ainsi les Juifs devront-ils acquitter des contributions énormes sous les prétextes les plus divers (pour avoir le droit de prier devant le Mur des Lamentations, afin que l’on ne vienne pas profaner leurs tombes du cimetière du Mont des Oliviers ou pour préserver les sépultures juives près de Bethléem). Force leur sera en outre de graisser la patte du cheikh de la tribu Abou Ghosh afin que les voyageurs juifs empruntant la route de Jaffa ne soient pas molestés. Ou bien celle du fonctionnaire ottoman qui « surveille » l’abattage du bétail, droit pourtant concédé aux sacrificateurs juifs moyennant le versement préalable d’un bakchich substantiel…

Ce régime d’extorsions organisées connut un sommet durant les années 1625-1627 à Jérusalem sous la férule du pacha Ibn Farouk et de son beau-frère Osman. A force de taxes démesurées, les deux compères finirent par réduire les 500 chefs de famille juifs de la cité à la misère et par incarcérer les Juifs les plus éminents, dont l’ancien Grand-Rabbin de Prague, Isaïe (Yeshaya) Halévi Horowitz, éminent cabaliste, afin de leur soutirer une rançon très élevée. Ce climat d’insécurité incita la plupart des Juifs de la ville de fuir la ville et à se réfugier à Tibériade et à Safed, entraînant ainsi la disparition de la communauté ashkénaze hiérosolymitaine.

Si les témoignages des voyageurs ne sont pas toujours absolument fiables, nous disposons en ce qui concerne le sanjak (subdivision administrative ottomane) de Jérusalem d’une source absolument sûre : les registres du Tribunal de la Charia à Jérusalem qu’a étudiées le Professeur Amnon Cohen). L’étude de ces archives nous apprend que les justiciables juifs n’hésitaient pas à s’adresser à ce tribunal statuant selon le droit musulman pour résoudre certains litiges internes à la communauté – signe indiscutable du sens de l’équité que l’on reconnaissait au Cadi – et que cette institution disposait en permanence de drogmans à même de traduire documents et plaidoiries tenues en hébreu. Il découle également de ces documents de greffe que les Juifs, qui occupaient des quartiers d’habitation particuliers,  participaient pleinement et sur pied d’égalité aux guildes professionnelles. Dans le même esprit d’ouverture, ce tribunal reconnut dès le XVIe siècle que la viande des bêtes abattues par des sacrificateurs juifs conformément  aux règles rituelles juives pouvait être considérée comme halal moyennant l’invocation préalable de la formule arabe invoquant le Dieu Miséricordieux et Compatissant. Les Juifs demeuraient cependant des dhimmis, avec tout le mépris que suppose cette condition : aussi n’étaient-ils pas admis à témoigner, tout  témoin étant d’ailleurs tenu de faire précéder sa déposition de la formule : « Si je mens, que je devienne Juif ! ». Illustration frappante de la manière la tolérance et  le mépris institutionnalisé se conjuguent au sein du statut de dhimmi.

Nathan WEINSTOCK

Du « Vieux Yichouv » à la nation israélienne : un parcours bimillénaire 

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Pour en savoir plus, lisez le livre de Nathan Weinstock, “Renaissance d’une nation: Les Juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste”

Lire la première partie: Du vieux Yichouv à la nation israélienne, un parcours bimillénaire

Lire la deuxième partie: Les communautés de la Diaspora, un attachement indéfectible à la Terre d’Israël

Lire la troisième partie: Présence juive en Terre Sainte et tradition islamique

Lire la quatrième partie: La condition des Juifs de Terre Sainte après la conquête arabe

Lire la cinquième partie: La minorité juive sous les Fatimides, les Croisés puis les Mamelouks