Rue Darwin, Boualem Sansal

Cette note de lecture est parue dans le Continuum n°9, la revue des écrivains israéliens de langue française.

Rue Darwin, Boualem Sansal, Gallimard, 2011

Le livre de Boualem Sansal répond à un appel: Va, retourne à la rue Darwin. Le narrateur, après la mort de sa mère revient dans la rue Darwin dans un quartier populaire d’Alger, Belcourt,  à la recherche de son histoire et de son enfance.

C’est une saga familiale sur fond d’histoire de l’Algérie où l’on rencontre une fratrie dispersée sur tous les continents, une fratrie comme autant de visages de l’Algérie: Karim à Marseille, Souad à San Francisco, Mounia à Montréal, Nazim à Paris, et Hédi le plus jeune qui s’est coupé de sa famille en consacrant sa vie au djihad.
La bataille d’Alger, l’Indépendance, la guerre civile et même quelques pages passionnantes sur les préparatifs de l’armée algérienne pour participer à la Guerre de 1973 rythme le livre.
C’est aussi une réflexion sur la filiation:  …c’est notre histoire, nous la savons sans la savoir et sur la création. On ne se raconte pas impunément: Se raconter est un suicide, confie Yazid le narrateur.
Et c’est aussi une confrontation avec la mort. L’angoisse devant la mort de la Mère: L’homme face à la mort qui emporte la vie qui lui a donné la vie est confronté à un trouble qui dépasse l’entendement même de Dieu.
C’est une histoire d’amour, l’amour du narrateur envers son enfance, son pays, son histoire, sa mère, l’amour comme protection.
C’est aussi une histoire dominée par les femmes, la mère, Djéda, Fayza.
C’est la nostalgie d’une Algérie plurielle et chatoyante. Un livre ouvert où on rencontre des homosexuels, des femmes au pouvoir et des Juifs. Le portrait du Rabbin Simon, fraternel et laxiste qui s’accroche à l’Algérie comme le narrateur, en refusant d’écouter l’injonction Va à Jérusalem. Un livre sans tabou, un livre décomplexé.
C’est aussi une écriture. Une écriture comme un oued après la pluie, torrentielle. Un style cinglant et désabusé, foisonnant.
C’est un livre qui s’attaque au mystère de l’origine: Il reste à cuver la nostalgie et la rancune.
C’est un livre personnel, largement autobiographique, écrit après la mort de ma mère, témoigne Boualem Sansal lors d’une conférence en Israël et il ajoute: C’est un livre construit, une horlogerie très compliquée. Quand on raconte sa vie, on raconte aussi la vie des autres,  la vie, c’est une copropriété.
Boualem Sansal écrit des livres courageux comme Rue Darwin, comme Le village de l’Allemand. Mais lui-même est un homme courageux.  Malgré les menaces et les insultes, Il s’est rendu au Festival international des Ecrivains à Jérusalem pour y dialoguer avec les auteurs israéliens.

darwin

Petite précision: Avant l’Indépendance, les Algériens ne prononçaient pas Darwin à l’anglaise, Darouine mais à la française, Darvain. La rue Darwin à la française ou à l’anglaise, a été débaptisée après l’Indépendance et a reçu un patronyme arabe. L’évolution!
La rue Darwin se trouvait à Alger dans le quartier Belcourt où a grandi Albert Camus. Il me semble qu’il y a une connection entre Boualem Sansal et Camus. Tous deux s’appliquent à bien nommer les choses.

©Rachel Samoul