La collection de Philippe Cohen au Musée de Petach Tiqva

Cette interview a été réalisée en français par Sarah Peguine du blog OH-SO-ARTY, à l’occasion de l’exposition “Honey, I rearranged the collection- Work from Philippe Cohen’s collection”,  au Musée de Petah Tiqva,  Curateur : Ami Barak, jusqu’au 24 août 2013
Pour lire l‘interview en anglais.

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1. Philippe Cohen, vous êtes dentiste et collectionneur. Comment vous est venue l’envie de collectionner de l’art contemporain?

Ceux qui me questionnent sur ma collection pensent toujours que je suis un industriel ou que je travaille dans la publicité ou dans la mode, pour avoir fait une collection d’art contemporain de ce type, et il y a toujours un choc quand je dis que je suis dentiste. Evidemment, ce n’est pas par la dentisterie que je suis arrivé à l’art, mais tout simplement par des rencontres. La rencontre la plus importante, c’est un très bon ami, Philippe Segalot, un art adviser très important, qui était d’ailleurs au vernissage de ma collection. En 1992, je l’ai accompagné voir une exposition historique à Lausanne “Post Human” et dont le curator était Jeffrey Deitch ; cette exposition a aussi été montrée plus tard au Musée de Jérusalem. Comme chef de file, il y avait Felix  Gonzalez-Torres mais aussi Paul McCarthy, Cindy Sherman et bien d’autres qui sont devenus des artistes incontournables. Ce fut pour moi un  déclencheur, j’ai acheté ce jour là mon premier catalogue sur l’art contemporain et j’ai passé des semaines à le lire.

פול מקארתי, דילמת משק הבית של פינוקיו

 Paul McCarthy, Pinocchio Pipenose Householddilemma (Party Pack), 1994

סינדי שרמן רופא ואחות

Cindy Sherman, Doctor and Nurse, 1980

2. Quelle est la première pièce que vous avez acheté?

J’ai voulu collectionner l’Art de mon temps mais j’ai eu très vite un rejet de la peinture contemporaine. Je ne comprenais pas l’intérêt de l’acte de peindre aujourd’hui par rapport à la peinture de la première moitié du 20ème siècle ou des périodes antérieures, d’autant plus que je collectionnais déjà des dessins du 19ème siècle. Cela m’a amené tout de suite vers un art

post-conceptuel, et la première oeuvre sérieuse que j’ai acheté en 1993 sont les Perfect Vehicles d’Allan Mc Collum – les cinq potiches de différentes couleurs et d’emblée la collection s’est orientée sur le questionnement  de l’acte de peindre;il y a aussi le côté un peu obsessionnel et répétitif de la sérialité qui est caractéristique de mon tempérament, parce que souvent le collectionneur est obsessionnel et cette oeuvre je l’aime autant aujourd’hui qu’il y a 20 ans.

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Honey I rearranged the collection, Petach Tikva museum of art

Installation view with Allan McCollum’s “Perfect Vehicles”

3. Et aujourd’hui combien de pièces avez-vous?

Organiser un catalogue et une exposition, c’est justement l’occasion de faire un peu le point de tout ce que l’on possède. Je n’ai pas remis ma collection en ordre à 100% mais à 90%. Je pense qu’il y a 250 pièces dans la collection et dans le catalogue, on a reproduit 160 pièces. On a mis quasiment 95 % des artistes de la collection mais on n’a pas pu tout reproduire parce que parfois il y a des ensembles de 10-15 dessins par artiste et donc on a du faire avec mon curator Ami barak une selection. Dans l’exposition il y a exactement 100 oeuvres, ce qui n’est pas mal.

4. Comment vous est venue l’idée de faire une exposition de votre collection, était-ce un rêve?

Je ne suis pas sûr qu’on puisse parler d’un rêve parce que je n’ai pas ce genre de prétention. J’aime beaucoup parler de ma collection, de mes acquisitions avec mes amis collectionneurs, avec les conservateurs de musée. Surtout c’est un échange, j’aime bien l’échange dans l’art, autour des artistes et autour des oeuvres surtout. Mais c’est vraiment ma relation d’amitié avec Ami Barak qui a été le déclencheur. Autour d’une discussion qui remonte déjà à 2-3 ans, Ami m’a dit: “Tu sais tu devrais montrer ta collection”, j’ai dit: “Ah bon tu crois?” et puis voilà. Même si je savais beaucoup sur ma collection,  j’ai appris encore plus en la voyant autrement, surtout à travers le ragard d’Ami Barak.

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Honey I rearranged the collection, Petach Tikva museum of art, installation view

5. Pourquoi avoir choisi Israël comme premier lieu pour montrer votre collection?

C’est tellement important Israël dans ma vie depuis ma jeune enfance et dès mes débuts de collectionneur j’ai eu la chance de connaitre le monde de l’art en Israel, Yona Fisher qui a guidé beaucoup de gens ici. L’artiste Moshe Ninio, Shifra Shalit quand elle était conseillère culturelle à Paris, et bien sûr Ami Barak. J’aide le Musée d’Israël au sein des Amis français et j’ai créé le comité d’acquisition depuis 13 ans déjà avec Susanne Landau. Quand j’étais jeune, j’ai milité dans les mouvements sionistes puis au Keren Hayessod en France et ensuite je suis devenu collectionneur. Et c’est une chance incroyable qu’on m’ait demandé de lier cette passion à mon amour pour Israël. C’est une expérience fascinante. Les échanges réguliers avec l’Institut français, Lionel Choucroun, Olivier Rubinstein et les personnes qui les ont précédés, permettent d’avoir cette porosité entre ces deux pays, la France et Israël.

Oui c’est fondamental de démarrer l’exposition de la collection en Israël!

6. Parlez-nous des artistes Israeliens qui sont representés dans votre collection.

Les artistes israéliens sont correctement représentés, mais pas de manière compulsive.

Je fonctionne beaucoup avec des amitiés. J’aime un travail, j’aime un artiste, il devient mon ami, je le collectionne souvent. Ainsi, on retrouve pas mal de pièces de Moshe Ninio, de Joseph Dadoune et puis d’artistes moins connus comme Itzik Badash avec qui j’ai des liens très forts. Pavel Wolberg, Miri Segal grâce à Shifra Shalit et , Adi Ness grâce à Irit Sommer. Puis;  il y a des artistes israéliens que j’ai connu à l’extérieur d’Israël comme Ariel Schlesinger lors de son exposition à la galerie Yvon Lambert à Paris.

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Exhibition view with Miri Segal’s installation “Whatever you say?”, 2009

7. J’imagine que c’était très difficile de choisir parmi toutes les oeuvres.

Ce n’est pas si difficile que ça. Quand on choisit, on est guidé aussi par l’espace qui vous accueille. Le Musée de Petah Tiqva offre un espace vraiment approprié à ma collection, des espaces plus confinés, à côté d’espaces immenses, cette grande salle au milieu, où on peut accrocher des grands formats, montrer beaucoup d’oeuvres en même temps. C’est encore une histoire d’amitié, avec Drorit Gur Arie. Un espace parfait pour la collection, une amitié avec Drorit.

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Honey I rearranged the collection, Petach Tikva museum of art, installation view

8. Si vous pouviez choisir une pièce d’une autre période que l’Art Contemporain, que choisiriez-vous?

C’est une bonne question parce qu’il y a une telle pièce dans la collection, donc c’est à toi que je pose la question (rires!). Il faut que tu y retournes et que tu fasses « Seeing Seeing » – la pièce de Tania Mouraud elle veut bien dire ce qu’elle veut dire.

Si tu ne forces pas ton regard, tu ne comprends pas. C’est normal, il faut parfois des codes pour comprendre l’art contemporain. Il faut lire d’où l’importance du catalogue. “seeing seeing” est une des têtes de chapitres. C’est une oeuvre fondamentale pour moi et j’ai tenu à ce qu’elle soit en Israel bien que Tania Mouraud ne soit pas connue en Israel. « seeing seeing’ c’est aussi “écouter écouter”, c’est “penser penser”; cette redondance montre qu’il faut prendre le temps.

 Et donc, dans l’exposition, il y a une oeuvre, – toute petite – d’un artiste du 19ème siècle, Alfred Dehodencq, un peintre orientaliste qui parle du Maroc où je suis né.  J’ai collectionné les dessins préparatoires des grands tableaux de Dehodencq sur la vie juive au Maroc. Avec Delacroix, Alfred Dehodencq a été le peintre du 19ème siècle qui a le mieux dépeint la vie juive au Maroc. A l’époque, les musulmans ne se laissaient pas dessiner et les peintres français qui faisaient ces voyages en Orient se rabattaient sur la communauté juive, ce sont les premiers témoignages avant la photographie, de la vie juive au maroc. J’ai collectionné ces dessins pendant 20 ans et quand la collection était aboutie,  j’en ai fait don au Musée d’Israël qui a fait un catalogue et une exposition l’année dernière. La seule oeuvre que je n’ai pas offerte, c’est une œuvre sur un thème non juif très intimiste. Il s’agit d’une enveloppe déchirée où il y a des études de prisonniers marocains. Ce qu’il y a de magnifique dans cette enveloppe, c’est qu’elle était adressée au fils du peintre et on lit « à Monsieur Alfred Dehodencq fils », et j’imagine Dehodencq passer dans la rue pour déposer sa lettre et l’envoyer à son fils et voir devant lui une scène incroyable qu’il ne peut s’empêcher de dessiner sur la lettre au fils. Elle est à l’entrée du musée, perdue au milieu du grand mur de dessins, ceux qui me connaissent bien l’ont remarquée (rires).

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Exhibition view- the museum’s entrance

9. Avez-vous eu pendant votre carrière de collectionneur des moments de doutes, des moments où vous vouliez tout arrêter?

C’est vrai qu’à un moment donné j’ai pu penser arrêter parce que je trouvais que le niveau de la production artistique et ce que les critiques d’art eux mêmes disaient ou écrivaient autour des oeuvres, n’étaient plus aussi pertinent qu’avant. J’étais frustré car je trouvais (et désolé si cela peut paraître prétentieux) que l’art était moins intelligent qu’avant. Jusqu’à la découverte de l’oeuvre de Tino Sehgal, un artiste qui crée des situations où le collectionneur prend en charge une phrase. C’est une relation du collectionneur avec un public, ses amis. Encore une relation d’amitié! Je prononce cette phrase et j’espère déclencher chez l’autre un questionnement sur le statut de l’œuvre d’art. Les amis me demandent : Pourquoi tu fais cela? parce que je veux pouvoir aussi montrer des œuvres sans images, ou arrêter de collectionner des images qui ne m’apportent rien- et quel intérêt de les montrer? Eh bien, parce que j’ai envie de t’en parler, je veux  rentrer en relation avec toi, l’art ce n’est pas que du voyeurisme, ça doit être une réaction, physique, entre l’oeuvre et le spectateur.  L’oeuvre de Tino Sehgqal que j’ai acquise s’appelle, ‘This is Technology’, je dois prononcer cette phrase comme un robotnet évidemment dans une collection d’art vidéo, c’était intéressant. J’ai d’autres oeuvres sur le dysfonctionnement dans ma collection, comme “Unplugged Video » de Pierre Bismuth qui s’est approprié une vidéo de Bruce Nauman, mais en fait c’est un moniteur débranché, parce qu’il n’y a absolument rien à voir.  C’est intéressant aussi, des oeuvres où il n’y a rien à voir. Tino Sehgal, c’est une œuvre immaterielle : pas d’images,  pas de certificat, c’est juste quelques mots à partager avec d’autres. Il a redonné un souffle nouveau à la collection. Je préfère collectionner  des concepts que des images.

10. Comment voyez-vous votre collection évoluer?

« Honey I rearranged the collection », je remercie Ami Barak d’avoir trouvé ce titre. C’est le titre d’une oeuvre d’Allen Ruppersberg que nous nous sommes appropriés comme beaucoup d’oeuvres dans ma collection qui traîtent de l’appropriation. En même temps, je m’adresse a mes proches, parce que mon épouse, mes enfants ont supporté tout cela depuis 30 ans.

Je ne sais pas comment la collection va évoluer mais je sais que je suis un passionné, j’ai fait mon métier avec passion puisque j’ai été professeur à la faculté dentaire pendant 10 ans, j’ai milité, j’ai collectionné des dessins du 19ème, j’ai collectionné du judaïca, j’ai collectionné de l’art contemporain et j’étudie un peu les textes sacrés. C’est la passion qui me guide dans tout.

Crédits:

Première photo:

Philippe Cohen devant l’oeuvre de Tania Mouraud
Photo: Sarah Peguine

Work by Paul McCarthy:

Paul McCarthy, Pinocchio Pipenose Householddilemma (Party Pack), 1994
Installation (10 costumes)
Honey I rearranged the collection, Petach Tikva Museum of Art exhibition space
Photo: Elad Sarig

Work by Cindy Sherman: 

Cindy Sherman, Doctor and Nurse, 1980
2 Black & white photographs
Courtesy the artist and Metro Pictures Gallery, NY 

All installation views are credited:

Honey I rearranged the collection, Petach Tikva museum of art, exhibition space.
Photo: Elad Sarig