Un cerveau hébraïque
Cet article est paru dans l’Arche, le magazine du judaïsme français, d’avril 2010.
Lecture et cerveau hébraïque
Vuos aevz porbalbemnet pas torp de difficluets à lire ce txtee. Et toute personne qui lit un texte de ce type en anglais, en espagnol, en italien ou en allemand est capable de faire de même.
Mais si vous lisez l’hébreu et que vous devez déchiffrer un texte écrit en hébreu de la même manière en gardant la première et la dernière lettre et en mélangeant celles du milieu, vous aurez d’énormes difficultés.
Une expérience qui vient corroborer les recherches du professeur Ram Frost, professeur en psychologie de l’Université hébraïque de Jérusalem.
Voilà 10 ans que Ram Frost a mis en doute l’opinion générale selon laquelle il y aurait un processus universel de mise en route de la lecture dans le cerveau, complètement indépendant du langage traité. Ram Frost a démontré que la façon dont le cerveau traite le langage écrit est différente selon qu’on parle une langue comme l’anglais et le français ou l’hébreu. Les stratégies de lecture ne seraient donc pas les mêmes pour toutes les orthographes alphabétiques
Le lecteur du français enregistre toutes les lettres et cherche dans son lexique mental à quoi cette combinaison correspond. Ce lexique est organisé un peu comme un Dictionnaire du Scrabble suivant le nombre de lettres et les analogies dans la séquence des lettres. Par exemple, le mot table est voisin du mot sable et du mot cable. Dans le cerveau, les mots sont rangés par quartiers orthographiques.
Les théoriciens de la lecture pensaient que ce genre d’organisation était universel jusqu’à ce que Ram Frost crée une faille en démontrant que pour les lecteurs de l’hébreu, les mots n’étaient pas organisés de cette manière. Les mots sont rangés en fonction de leur racine.
RACINES TRILITERES
En hébreu, les mots sont basés sur une racine de trois consonnes, les racines trilitères. Les 22 lettres de l’alphabet hébraïque peuvent créer 3000 racines, et les racines permettent la déclinaison de famille de mots. La place des lettres dans la racine est essentielle. Par exemple, avec les lettres ר, ב, et ח on peut former les racines רחב חבר חרב בחר. Chacune de ces racines engendrant une famille de mots qui n’ont rien à voir au niveau sémantique les uns avec les autres.
C’est la racine qui va en quelque sorte servir de guide au cerveau pour qu’il puisse déchiffrer le sens du mot. En hébreu, il est donc impossible de lire un texte où les lettres ont été transposées car le cerveau découvre alors d’autres racines.
Le sens de lecture de l’hébreu lu de droite à gauche a aussi un effet mais très minime, pas aussi dramatique qu’on aurait pu le penser.
Le langage déterminerait donc la manière dont le cerveau va traiter ce langage écrit. On ne peut donc pas élaborer une théorie de lecture universelle mais se servir de ces différences pour comprendre comment le cerveau fonctionne. « C’est ce qu’on peut apprendre du cerveau grâce à la morphologie de l’hébreu du cerveau qui est passionnant », confie (en français) le professeur Rami Frost de l’Université Hébraïque.
Pour en savoir plus, Frost avec son étudiante en doctorat Atira Bick utilise une technique d’imagerie cérébrale pour observer quelles parties du cerveau sont activités chez des sujets qui lisent l’hébreu et le français. Les mêmes circuits cérébraux sont impliqués mais la forme d’activation est légèrement différente.
Projets
Le professeur Ram Frost entame maintenant une recherche sur la façon dont le cerveau de personnes qui ont appris à lire en français ou en anglais ou en espagnol va se comporter lorsqu’elles vont apprendre plus tard à lire en hébreu. Quels sont les problèmes que rencontre notre cerveau pour passer de la lecture de l’hébreu à celle du français et vice-versa ? Cette recherche se fait avec les étudiants étrangers de l’Université hébraïque de Jérusalem.
Il travaille aussi en collaboration avec d’autres centres de psychologie cognitive dans le monde notamment en Chine et en France en coopération avec Johannes Ziegler et Jonathan Grainger de l’Université d’Aix-Marseille.
Peut-être découvrira-t-il qu’en apprenant l’hébreu, notre cerveau s’hébraïse !
@Rachel Samoul
Deborah Pewzer
Oct 25, 2010 @ 11:45:58
c »est grâce à cela que nos rabbanim develloppent les différentes interprétations d’un texte bibiblique/en intervertissant les trois lettres du mot clef d’un verset ,ils donnent un regard nouveau mais neanmoins crédible sur le texte à l’étude;
AMICALEMENT
dEBORAH
Perle
Oct 30, 2010 @ 13:40:45
Génial cet article.
Pour répondre à votre question, l’utilisation du langage fait appel à des aires différentes du cerveau. Par exemple, le son d’un mot entendu est d’abord traité dans le cortex auditif primaire, une zone bien définie du cerveau, qui le transmet ensuite à une aire voisine qui va l’associer avec la représentation de ce mot, conservé en mémoire. Mais si maintenant c’est moi qui prononce un mot, l’information sera perçue par le cortex visuel, et un autre circuit permettra de donner un sens à ce mot, selon le contexte. Une autre aire du cerveau viendra ensuite me permettre de le prononcer correctement, et l’information transitera jusqu’au cortex moteur pour que les muscles articulent les bons sons. Dans ce cas, je pense que Frost met en lumière le fait que les circuits sont bien les mêmes selon les différents langages, mais que l’activation du circuit est différente, puisque la forme de traitement du langage est tout autre.
Je le reposte sur la page facebook de mon blog: https://www.facebook.com/pages/Carnets-dAliyah/144169752290704
Bernard Nouhet
Juin 18, 2017 @ 12:26:30
Merci pour cette lumineuse analyse.
C’est la question que je me posais depuis longtemps. Mais aussi posée à d’autres et restée sans réponse. « Mais, comment lisez-vous ? » Les langues européennes s’apprennent pas lettres (phonèmes) consonnes > voyelles > syllabes > mots.
Mais en hébreux, il ne me reste que des mots en bloc.
Je vais m’appliquer à chercher de la documentation pour lire ‘sur’ les racines.
תודה רבה ושבוע טוב