Des ruelles aux noms de rabbins

Pour lire toutes les marches du projet Tel Aviv, en marchant, en écrivant

Après une longue interruption, nouvelle promenade dans mon quartier, le Kerem HaTeimanim, le Vignoble des Yéménites. Au programme : beaucoup de rabbins.

Point de départ, la rue qui commence juste en face du fameux restaurant de Rina et Zachariah au 22 de la rue HaCovshim, un bouiboui qui a l’air infâme mais où les soupes sont réputées notamment celles à la queue ou au pied de boeuf et où on sert du jus de qat. Le khat ou qat, à part être un excellent mot pour le Scrabble, est une plante dont les feuilles ont un effet stimulant, euphorisant et dont l’usage augmenterait la puissance sexuelle. C’est très amer et ça colore la langue en vert. Ca couperait aussi la faim !

Mon projet : passer dans le carré délimité par la rue du Rabbin Méir, par la rue Gedera, par la rue Hillel HaZaken et par la rue HaAri et à l’intérieur du périmère ainsi circonscrit, dans Alsheikh, Bet Yossef, Najara, Rabbi Akiva et Raban Gamliel. Des noms de rues liées à des rabbins du Talmud ou à des kabbalistes. L’exception qui confirme la règle, la rue Gedera, du nom de l’une des colonies agricoles au sud de Rehovot, créé en 1884.

Au coin d’Hacovshim et de Rabbi Méir, un jardin avec une aire de jeux pour les enfants et à côté, des appareils de musculation pour adultes en jaune et rouge. Une maisonnette avec des volets et une boite aux lettres peinte en turquoise sur un mur lézardé.  Un peu plus loin, une affiche jaune et rose annonce qu’on peut acheter des déguisements et de l’habillement pour chiens !

Au 24 de la rue Méir se trouve  le mur iconique du Kerem Hateimanim avec des coeurs de toutes les couleurs et de toutes les grandeurs et la phrase ; it is not perfect but it is all yours, ce n’est pas parfait mais c’est entièrement pour vous.

Presque en face, le restaurant Maganda, une adresse mythique, ouvert en 1965 sur le site de la maison familiale des Haboura qui a été construite en 1929. Salades à profusion, grillades casher et soutien inconditionnel à Tsahal.

Rabbi Méir, Meïr serait son surnom, celui qui éclaire est l’un des rédacteurs de la Michna au deuxième siècle. On ne connait pas le nom de son père et on raconte qu’il aurait été l’un des fils de Néron et qu’il se serait converti.  Nous sommes dans le mois hébraïque d’Iyar, qui proviendrait d’un mot akkadien voulant dire lumière. Dans la Bible, ce mois est appelé Ziv, reflet, lueur. C’était l’un des élèves du rabbin Akiva, une rue plus loin, le mari de l’une des femmes les plus érudites du Talmud, la célèbre Bruria, d’ailleurs je me demande si elle a le droit à une rue à Tel Aviv, – je dois vérifier – et l’élève d’Elisha ben Abouya qu’on désigne seulement par le nom de l’autre, un grand sage qui a dévié du chemin de la Torah. Lui, je suis sûre qu’il n’a pas sa rue. Autour de Rabbi Méir le mystère rôde car certains pensent que c’est lui le fameux Rabbi Meir Baal Haness, le faiseur de miracles, enterré près de Tiberiade et dont le tombeau est un lieu de pélerinage le 14 du mois d’Iyar.

Chaque semaine, la perspective du quartier change, une autre maison démolie, un autre étage à une maison existante, une nouvelle maison pimpante, et ça et là des maisons-fossiles, témoins d’une époque où le Kerem HaTeimanim était un bidonville que la municipalité de Tel Aviv ne voulait pas relier à son système d’égout et d’eau potable. Les premières maisons, des petites maisons basses aux toits de tôles avec des cours intérieures, datent en effet de l’alyah des Juifs du Yémen de 1881-1882. C’était l’un des premiers quartiers hors de Jaffa bien avant la création d’Ahuzat Bait en 1909 qui deviendra Tel Aviv et que le quartier rejoindra seulement en 1921.

Entre la rue Gedera et de la rue Hillel HaZaken, au milieu du rond-point, un palmier majestueux, près d’une station d’essence à l’emplacement incongru. Encore un bon restaurant en coin, le Gedera. Cette colonie agricole a été fondée par des Bilouim, rien à voir avec des rabbins, des jeunes venus d’Ukraine en 1882, la même année que la première alyah des Juifs du Yémen.

Je tourne à gauche. Un haut mur aveugle avec une fresque de graffiti, c’est l’arrière d’un beau bâtiment qui fut un cinéma de 1937 aux années 60 puis une boite de nuit mythique dans les années 90, Allenby 58. J’ai connu et le cinéma et la boite de nuit. Je viens de lire que le bâtiment va être détruit pour un nouveau projet immobilier de luxe. C’est dans l’air du temps.

Hillel l’Ancien vivait à Jérusalem au temps d’Hérode, un grand du Talmud, l’une de ses maximes les plus connues:  Ce qui est détestable à tes yeux, ne le fais pas à autrui. C’est là toute la Torah, le reste n’est que commentaire. Maintenant, va et étudie.

Au bout de la rue Hillel HaZaken, je tourne à droite dans la rue HaAri tout en admirant la belle maison sur le coin à gauche. Rabbi Isaac Ashkenazi Louria, connu sous l’acronyme Ari, qui veut dire Lion, né à Jérusalem mort à Safed au XVe siècle, un grand de la Kabbale. Il serait de père ashkénaze et de mère séfarade, un mélange que je recommande ! C’est lui qui introduit dans la Kabbale, les notions de retrait, de brisure des vases et de réparation. Dans la rue un peu plus bas, un lieu de rencontre pour les personnes âgées du quartier. Une mosaïque de fragments de céramiques, de bouts de miroirs décorés recouvre entièrement la façade, des bribes de vie exposées qui côtoie une annonce nécrologique, le nom de famille de la personne disparue est Gamliel comme le nom de la rue juste à côté. Le rabbin Gamliel était considèré traditionnellement comme le petit-fils de Rabbi Hillel. Un voisinage généalogique et topographique.

Je ne sais pas comment m’y prendre, j’ai fixé un périmètre rue Meir  mais je suis obligée de revenir sur mes pas pour passer dans toutes les rues et une fois devant mon ordinateur pour fixer la promenade, je m’embrouille. C’est un quartier où il faut se perdre, tourner à droite puis à gauche, reprendre la même rue. Lever la tête pour regarder le ciel entre deux fils électriques, baisser les yeux pour déjouer les nids de poule, tourner la tête à droite pour sourire à un vieux monsieur accoudé à sa fenêtre, à gauche pour un tag de navire et trois mots No more war, une allusion au bateau et à la radio d’Abie Nathan : From somewhere in the Mediterranean, we are the Voice of Peace. Voir comment les nouveaux bâtiments cohabitent avec les taudis. S’émerveiller du bleu turquoise d’une fenêtre et d’une plante qui s’enroule autour d’une boite aux lettres.  Remarquer un linteau en galets. Apercevoir un bel éléphant en bois dans l’entrebâillement d’une fenêtre, Apprécier l’ambiance populaire et la décontraction joyeuse. Passer de Rabbi Meir à Rabbi Akiba puis à Alcheih, repérer au numéro 33 une improbable entrée étroite, encore un tag d’Adi Sened et des synagogues nombreuses mais modestes.

Je passe par la rue Alcheich, un kabbaliste originaire de Turquie, installé à Safed, l’un des élèves du Rabbin Yossef Caro, à l’origine du Shoulhan Arouch, la Table dressée, et par la rue Bet Yossef, du nom dun livre important du même Yossef Caro. La rue Najara, une parallèle, porte le nom d’un rabbin et kabbaliste né à Damas qui a vécu à Safed puis à Gaza au XVIe siècle.

Me voilà dans la rue du rabbi Hakiva, encore une célébrité talmudique. Il est un des héros de la révolte de Bar Kohva, une rue près de Dizengoff dont j’ai déjà parlé ! On raconte qu’il était complètement ignorant jusqu’à l’âge de quarante ans et c’est une Rachel qui le pousse à l’étude.

Que de rabbins ! Des rabbins qui ont beaucoup marché. Souvent les textes du Talmud et de la Kabbale commencent par un cheminement. Les rabbins sont en chemin, en mouvement. Ce que Marc-Alain Ouaknine appelle la pensée voyageuse.

Alors, en route !

 

Le mur des coeurs dans le Kerem HaTeimanim à Tel Aviv

Palmier au coin de la rue Gedera et Hillel HaZaken à Tel Aviv

Palmier au coin de la rue Gedera et Hillel HaZaken à Tel Aviv

Graffiti "No more war" dans le Kerem HaTeimanim à Tel Aviv

L'entrée étroite de la maison, 33 rue Alcheich, Kerem HaTeimanim, Tel Aviv

Une rue animée du Kerem HaTeimanim, Tel Aviv

Lire la marche précédente : De la place Masarik à la reine Esther

Lire la marche suivante :  A la recherche de Brouria dans Nahalat Itshak

Tel Aviv, En marchant, en écrivant : Marche n°35

Distance parcourue : 1, 200 kilomètre

Date :   27 avril 2015, 10 Iyar

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