Joseph Kessel : « Un Russe de naissance, et Juif de surcroît. Un juif d’Europe Orientale. »

Joseph Kessel (1898-1979), un journaliste infatigable, qui a écrit 80 livres dont Le Lion et Belle de Jour  n’a jamais renié son judaïsme.

Extrait du Discours de réception de Joseph Kessel à l’Académie française

Joseph Kessel élu à l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. le duc de La Force, y est venu prendre séance le jeudi 6 février 1964, et a prononcé le discours suivant :

Messieurs,

L’acte de remerciement auquel se livre à l’instant d’entreprendre son discours celui qui a eu la bonne fortune d’être accepté par vous, est le réflexe le plus naturel de courtoisie et de gratitude.

De siècle en siècle, cette même coupole a entendu les nouveaux membres de votre Compagnie s’employer à ce même exercice. Mais je crois, et même je suis sûr, que la tradition centenaire a été renouvelée chaque fois, et comme rajeunie, moins par les mots, dont tout écrivain connaît hélas les limites, que par les émotions qui, elles, dans leurs nuances, leurs inflexions, dans le prisme singulier de leur arc-en-ciel, ne sont jamais pareilles chez deux hommes.

Pour moi, un sentiment tout particulier l’emporte, qui dépasse de loin et de haut ma personne.

Quand, pour tenter d’être reçu parmi vous, je me suis présenté au fauteuil du duc de La Force, ce fut uniquement par le hasard des circonstances, et de ces échanges imprévus entre la vie et la mort qui soudain s’imposent à nous. Mais votre choix, lui, n’a eu rien de fortuit. Il a été voulu, mûri, délibéré.

Or, pour remplacer le compagnon dont le nom magnifique a résonné glorieusement pendant un millénaire dans les annales de la France ; dont les ancêtres, grands soldats, grands seigneurs, grands dignitaires, amis des princes et des rois, ont fait partie de son histoire d’une manière éclatante, pour le remplacer, qui avez-vous désigné ?

Un Russe de naissance, et Juif de surcroît. Un juif d’Europe Orientale. Vous savez, Messieurs, et bien qu’il ait coûté la vie à des millions de martyrs, vous savez ce que ce titre signifie encore dans certains milieux, et pour trop de gens.

Oh ! j’entends bien, pour vous la question ne s’est même pas posée et vous êtes surpris, sans doute, de me l’entendre mentionner ici. Mais croyez-moi, le fait même de cet étonnement méritait qu’il fût signalé. Croyez-en quelqu’un qui a beaucoup voyagé, beaucoup écouté et prêté une attention profonde aux voix des hommes qui ont souffert et souffrent encore de la discrimination, des hommes en mal d’équité, de dignité. Pour eux, j’en suis sûr, vous qui formez la plus ancienne et l’une des plus hautes institutions françaises, vous avez marqué, sans même y penser et d’un geste d’autant plus précieux, vous avez marqué, par le contraste singulier de cette succession, que les origines d’un être humain n’ont rien à faire avec le jugement que l’on doit porter sur lui.

De la sorte, Messieurs, vous avez donné un nouvel appui à la loi obstinée et si belle de tous ceux qui, partout, tiennent leurs regards tournés vers les lumières de la France. Soyez-en remerciés.

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Sur l’épée de Joseph Kessel figure une étoile de David.

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