La voix du Rabbin David Bouzaglo
Nous retrouvons notre chroniqueuse cinéma israélien Brigitte C. pour la fin du festival Docaviv 2015 avec le documentaire Song of loves de Rafaël Balulu (60 min.)
Song of loves – en hébreu Shir Yedidot (shir veut dire à la fois poème et chanson) raconte la vie de Rabbi David Bouzaglo et à travers lui le destin de la communauté juive marocaine au siècle dernier. Le film nous en offre un double portrait, intime et public, à partir d’entrevues avec deux de ses enfants, avec amis et lettrés, à travers des documents et surtout à travers sa voix qui accompagne tout le film.
Shir yedidot est le nom du recueil des pioutim – chants liturgiques – adoptés par l’ensemble de la communauté juive marocaine au début du 20ème siècle. Cette expression figure déjà dans les psaumes et exprime un sentiment d’amour principalement à l’égard du divin mais pas toujours et Yehuda Halevi le grand poète sépharade du douzième siècle y faisait référence.
Rabbi David Bouzaglo est né en 1903. Il a été marié à deux femmes, a eu plusieurs enfants, et jusqu’à la mort d’un de ses fils il était à la fois chantre et chanteur. Héritier d’une tradition culturelle millénaire, il est le symbole de l’identité juive marocaine, riche et foisonnante tant qu’il vivait au Maroc ; arrivé en Israël en 1965, il y trouve une communauté en état de dépression identitaire et culturelle. Sa venue lui insuffle un renouveau, lui redonne une colonne vertébrale, une fierté perdue. Le film est habité par la voix intense et pure de son héros. Par touches vigoureuses, expressionnistes, le film trace le visage spécifique d’une culture où le sacré et le laïque font bon ménage, où ce qui est arabe fait partie de soi, où le talent était reçu humblement comme un don de Dieu. Rabbi Bouzaglo est mort depuis 1975 mais aujourd’hui une jeune génération a repris la tradition des pioutim et renoué le lien avec ses racines.
La salle est encore plongée dans le noir, sur l’écran défilent les noms de l’équipe technique et le public reste assis et applaudit, applaudit encore.
Raphaël Baloulou a environ 35 ans, à son palmarès plusieurs documentaires primés, et il ne mâche pas ses images. Son film Shir yedidot est lui-même un chant d’amour à une culture millénaire qui a failli mourir reléguée dans l’Israël laïc, occidental et monolithique des années de sa fondation.
Le site du film en hébreu et en anglais
P.S. : tout au long du festival, je me suis demandée pourquoi le logo de Docaviv est, sur fond jaune, une rangée de poissons noirs dont un seul a l’œil ouvert – parce que c’est le nom d’une lentille d’appareil photo qui permet d’avoir une vue comme un poisson dans l’eau (en anglais : fisheye lense). Ca m’a plu, et vous ?