En marchant, en écrivant : Tour de Névé Tsedek
Direction la rue Eilat, chez ma couturière. Donc HaCovshim, traversée du parc HaCovshim en diagonale pour prendre la rue Yitshak Elhannan, la lisière nord du quartier Nevé Tsedek sur laquelle il est prévu d’élever de plus en plus de tours. Le rabbin Yitshak Elhannan Spector, grand rabbin de Kovno à la fin du XIXe siècle m’est particulièrement sympathique parce qu’il prônait le retour à Sion et qu’il oeuvrait pour libérer les agounot, les femmes dont le mari refuse de donner le guet, le divorce religieux et qui perdent ainsi la liberté de refaire leur vie. Je tourne à droite dans Metoulla puis à gauche dans la rue Pines et comme à chaque fois, je m’esclaffe bêtement. Monsieur Pines s’est installé en Eretz-Israël en 1878, pensait qu’il n’y avait pas de contradictions entre le judaïsme et la science et a travaillé avec Ben Yehouda pour la promotion de l’hébreu comme langue parlée. Pensez à Monsieur Pines quand vous mangez une tomate en Israël : c’est lui qui a créé le mot tomate, agvania, עגבנייה en hébreu. Il a composé le mot suivant le surnom européen de la tomate, la pomme d’amour et Ben Yehouda ne l’aimait pas parce qu’il trouvait que le mot agvania avait des connotations trop sensuelles ! Aujourd’hui, en Israël, c’est Guy Pines, l’animateur d’une émission de télévision people très populaire sur la chaîne 10 qui détaille la vie des célébrités locales et internationales. C’est grâce à lui que je sais que Bar Refaeli s’est fâchée avec son petit ami à cause de Mick Jagger, c’est vous dire ! Dans la rue Pines du 24 au 34, une belle série de maisons jumelles. En face, la façade désossée, rose et jaune passés, du cinéma Eden, le premier cinéma de Tel Aviv, créé en 1914. Paradoxe, Les Derniers jours de Pompéï fut le premier film présenté dans le premier cinéma de Tel Aviv. Je me dirige vers la Tour de Neve Tsedek, surnommé Tour des Français en tournant dans la rue Haïm Amzaleg. Je ne cesse d’être émerveillée par la végétation de Tel Aviv, un vrai jardin botanique entre tours et bâtiments. Ici un bougainvillée se mêle à un palmier ; un peu plus loin, une grenade a poussé hors la grille. Je traverse le pont au-dessous duquel passait la voie ferrée entre Jaffa et Jérusalem et où passera bientôt le tramway. Je passe sous la Tour de Névé Tsedek et lève les yeux, je découvre une vague abstraite du plus bel effet. Me voilà dans la rue Eilat et chez ma couturière Pnina, nous choisissons ensemble les mesures de chaque coussin. Je repars par la rue Chelouche. Aharon Chelouche est originaire d’Oran, a quitté l’Algérie autour de 1840, donc après la conquête française pour venir s’installer en Eretz-Israël. Il est l’un des fondateurs du quartier de Neve Tsedek. Le premier quartier juif construit hors de Jaffa. Je suis trés fière de cette connection oranaise ! Je me demande quelle histoire se cache derrière le départ de la famille Chelouche d’Oran dix ans après la conquête de l’Algérie par les Français. Au coin de la rue Eilat et de la rue Shloushe se trouve l’Institut Schechter, un centre d’études juives. C’est une belle bâtisse récemment rénovée et construite par Lorenz un membre de la société des Templiers allemands, société créée en XIXe siècle et qui prônait l’implantation en Terre Sainte. La maison abrita le célèbre Café Lorenz. L’écrivain Shay Agnon en parle dans son livre Tmol Shilshom, Autrefois. Petite anecdote : dans le roman, l’un des personnages, commande une tasse de thé et dit : ces Allemands, experts en tout, ne savent pas faire du thé. Le prix Nobel de littérature ne s’appelait pas à l’origine Agnon mais Yosef Czaczkes. Ce pseudonyme, il le crée d’après le titre de son premier conte, Agounot. Agnon contient les trois lettres de la racine hébraïque Agouna. Cette promenade semble être sur le signe de ces femmes qui luttent pour leur liberté. Il faut que j’aille voir le dernier film de Shlomi et de Ronit Alkabetz : Guett – Le procès de Viviane Amsallem. Je repasse un pont. Un graffiti de Dede met en abîme une maison de Neve Tsedek. Je passe devant la synagogue Chelouche aux volets bleus. Je tourne dans la première rue à droite, la rue Amsaleg et je retrouve le tronçon de cette rue pris à l’aller. Pour ne pas revenir sur mes pas, je prends la charmante rue Neve Tsedek. J’arrive au musée Nahum Gutman dont je vous conseille la visite. Je continue ma route et là je découvre un trésor. Dans la rue même passant d’une maison à celle d’en face, une treille et des raisins. Le bleu des volets et le vert de la vigne.
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Tel Aviv, En marchant, en écrivant : Marche n°24
Distance parcourue : 2 kilomètres
Date : 11 juin 2014/ 11 Sivan 5774
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