Le Site-Mémorial du Camp des Milles
Je suis née à Aix-en-Provence. Le petit village des Milles se trouve aux portes d’Aix et je l’ai souvent traversé pour prendre la route vers l’aéroport. Il abrite aussi un cimetière juif. Pourtant, je n’étais jamais entrée dans l’ancienne tuilerie transformée en centre de détention de 1939 à 1942 et je crois que je n’avais jamais vu sa façade.
Cette immense batisse en briques d’où émerge des cheminées m’a rappelé Auschwitz. Non, non, le camp des Milles n’a jamais été un camp d’extermination, juste une antichambre vers l’extermination.
De septembre 1939 à juin 1940, sont internés dans le camp des Milles les ressortissants du Reich, uniquement des hommes, désormais ennemis de la France. L’absurdité de la situation est que la plupart de ces hommes sont soit des antifascites, soit des Juifs qui ont fui l’Allemagne nazie.
De juillet 1940 à juillet 1942 sont internés les « indésirables », en fait les mêmes Juifs et antifascistes désormais suspects aux yeux du gouvernement de Pétain.
D’août à septembre 1942, sont internés plus de 2000 Juifs, hommes, femmes et enfants qui vont faire dans cinq convois le trajet Les Milles – Auschwitz. Ils faisaient partie des 10 000 Juifs de la zone libre, qui, avant même l’invasion allemande le 11 novembre 1942, ont été livrés aux nazis par le gouvernement de Vichy. Pierre Laval a même proposé d’inclure dans les convois les enfants de moins de seize ans alors que les nazis ne l’avaient pas demandé.
La visite guidée du site-mémorial, inauguré en 2012, était passionnante : lieu de mémoire, patrimoine industriel et patrimoine artistique, espace de réflexion. Et j’ai été stupéfaite par l’ampleur du lieu, son état de conservation et le travail effectué pour le rendre intelligible.
Les traces de l’activité artistique des détenus sont particulièrement émouvantes. Parmi les internés, des sculpteurs, des peintres notamment le surréaliste Max Ernst, des comédiens, nombre d’intellectuels et de scientifiques, le prix Nobel de médecine de 1922 et le futur Prix Nobel de médecine de 1950. Créer pour résister alors que leur sort est incertain et qu’ils vivent dans de terribles conditions, pénombre, poussière, froid, hygiène rudimentaire et promiscuité. Ils montent des spectacles, écrivent des chansons et décorent les murs et surnomme le refuge de la vie culturelle au camp, Die Katakombe comme le célèbre cabaret berlinois.
Il y a aussi des écrivains comme Lion Feuchtwanger. Après ma visite au Camp des Milles, j’ai lu son livre Le Diable en France, un témoignage poignant de son séjour aux Milles. … je ne crois pas que le diable auquel nous avons eu affaire en 1940 ait été un diable particulièrement pervers (…). Je crois plutôt que c’était le diable de la négligence, de l’inadvertance, du manque de générosité, du conformisme, de l’esprit de routine, c’est-à-dire ce diable que les Français appellent le je-m’en-foutisme.
J’ai été heureuse de croiser de nombreuses classes. Une muséographie intelligente explique les différents moments du camp et invite à la réflexion, le tout sans effets inutiles et en respectant la simplicité et le dépouillement des lieux.
Aux côtés du volet historique et mémoriel, un volet réflexif met l’accent sur la possibilité de résistance, la possibilité de faire barrage à la haine et met en valeur les Justes parmi les Nations et développe la notion d’actes justes. Cet espace offre des clés de compréhension des processus individuels et collectifs qui ont conduit et peuvent encore conduire à l’horreur génocidaire. Trois grands thèmes sont développés : les résistibles engrenages des intolérances, le basculement de la démocratie à l’autoritarisme, la responsabilité individuelle et collective face au crime de masse.
On peut voir aussi sur le site l’Exposition nationale sur les enfants juifs réalisée par Serge Klarsfeld : « 1942-1944 : 11 400 enfants juifs déportés de France à Auschwitz. »
Le Mémorial du Camp des Milles participe ainsi à l’édifice immense du souvenir mais pas seulement il permet, comme l’écrit Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles de Dépasser le Plus jamais ça ! pour comprendre Comment faire pour que Plus jamais ça.
Allez voir et faites connaître le Camp des Milles, le Vel d’Hiv du Sud : un lieu d’histoire, de transmission et de pédagogie, tout près de la ville de mon enfance.
Le Site-Mémorial du Camp des Milles
Michèle Tauber
Mai 15, 2014 @ 19:01:18
Bonjour,
Comme toujours j’apprécie beaucoup votre site.
Il faudrait corriger l’orthographe du nom de l’écrivain allemand : Lion
FEUCHTWANGER.
Merci et shabbat shalom,
Michèle Tauber
SAMPEREZ
Mai 16, 2014 @ 01:54:11
magnifique exposé
quelle leçon d’espérance
et combien nous ne devons pas oublier
et résister comme pour notre ISRAEL
Raymond
rachelsamoul
Mai 16, 2014 @ 09:54:14
Merci Raymond.
rachelsamoul
Mai 16, 2014 @ 09:55:42
Merci beaucoup Michèle pour votre fidélité et votre lecture attentive. J’ai corrigé.
Paul
Mai 16, 2014 @ 11:04:46
Ah ! Si l’armée israélienne avait existé en 1939-1940……
Chabat shalom,
Paul Smietana
laure ayache sartore
Mai 18, 2014 @ 10:51:01
merci de parler du camp des milles qui est vraiment un lieu a visiter surprenant car c’est le seul camp d’internement qui reste en l’etat en france avec une presentation tres variee et tres complete de differents génocides utilisant journaux , lettres , photos , videos , télévision , projections , encore merci .
Paul
Jan 28, 2015 @ 00:39:52
Pour Laure Ayache.
Il y avait un camp de concentration en France. Le nom de ce camp: Natzwiller-Struthof. Un sinistrement célèbre médecin y fit des expériences (pas Mengele). Il se situe en Alsace-Loraine.
http://www.struthof.fr
Jean-José Mesguen
Nov 05, 2018 @ 21:34:14
L’intelligence du travail du camp des Milles est d’être un véritable lieu de mémoire et d’histoire, donc d’intelligence et de réflexion. Le développement du fascisme et du nazisme repose sur des processus sociaux, culturels et politiques dont la combinaison peur se reproduire, toujours sous des formes différentes. Quant aux génocides ils ont été perpétrés sur d’autres catégories d’humains, la fondation aide aussi à réfléchir sur l’Arménie sous domination turque ou le Rwanda. Et outre cette réflexion elle aide à réfléchir sur la dimension morale et la responsabilité humaine : quand au nom d’une idéologie ou d’un État une police ou une armée, même celle de votre État, emprisonne ou tue des enfants, un impératif sacré est de n’être pas Caïn « suis-je le gardien de mon frère ? » Oui, nous devons êtres les gardiens de nos freres, surtout les petits, meme s’ils n’ont pas la meme couleur, la meme nationalité, la même religion. C’est ce que fit ma grand-mère en cachant sous un faux nom un tout petit Nathan que nous venons d’avoir la joie de retrouver vivant à 79 ans. Parce qu’une modeste femme, à l’époque seule avec trois enfants, a décidé que la vie de cet enfant inconnu méritait de courir les pires dangers. Et comme elle ne se vantait pas –on fait modestement son devoir– nous, ses petits-enfants, avons mis très longtemps à comprendre tout cela. Et retrouver enfin ce vieux petit garçon qui m’a dit il y a quelques jours : « la vie est belle. »