En marchant, en écrivant : Entre Florentine et Neve Tsedek
A propos du projet Tel Aviv, en marchant, en écrivant
Un vers d’un très beau poème de Walt Whitman me trotte dans la tête : Considérer l’univers lui-même comme une route, comme une multitude de routes, de routes pour les âmes en voyage tandis que je descends du bus rue Allenby pour me diriger vers la route de Jaffa, Derech Yaffo qui va très vite se transformer en rue Eilat et rejoindre l’avenue Jérusalem à Yaffo. Je me demande si le baptême des rues obéit à une logique ou si le choix est tout à fait aléatoire.
Je marche à la recherche de la petite boutique, genre caverne d’Ali Baba, – je ne me souviens plus du numéro – où j’ai donné à coudre mes rideaux. La rue au premier abord n’a pas l’air intéressante, pas d’arbres, une impression de délabrement, mais comme toujours, une fois le rythme de mon pas maitrisé et mon regard tourné vers l’extérieur, je vois. Je vois les trouées entre les bâtiments qui laissent apercevoir une autre perspective, une autre ligne des tours de Tel Aviv se dessine, cette ville qui prend de la hauteur. La Tour Shalom si dominante pendant des décennies se perd maintenant entre les autres tours. Au coin de la rue Herzl, une magnifique maison Bauhaus. Juste au moment où je prends la photo, un homme passe en vespa, il porte un casque rose. Je trouve que c’est charmant. Je me souviens que j’avais acheté à mon fils des sandales rouges parce que c’était sa couleur préférée et que la vendeuse avait été offusquée, rouge, c’est pour les filles, s’était-elle exclamée. C’était avant la popularisation du concept de genre. En marchant, les souvenirs affluent, les idées abondent ; en marchant, je vois la vie en rose.
Je rate le moment où la route de Yaffo se transforme en rue Eilat, toute occupée à regarder les bâtiments Bauhaus, les maison de style éclectique et aussi de très vieilles maisons de l’époque ottomane. Des menuisiers, des grossistes en shmattes sont installés dans des échoppes dont les murs sont taillés en pierre et les plafonds sont en arcs. Au 28, une très belle porte attire mon attention. Au dessus de la porte, un écriteau indique qu’il s’agit de la maison, construite en 1922, de Sarah et d’Abraham Goldenberg, et qu’ils sont les fondateurs du premier centre commercial de la ville. J’ai une admiration sans bornes pour les pionniers.
La rue Eilat est la limite entre le quartier Florentine et Neve Tsedek. On voit l’arrière de la Tour de Neve Tsedek, très agressive, je trouve. Et toujours les fils électriques qui obstruent l’horizon, on devrait plutôt dire des cordes électriques. D’ailleurs, je croise le troisième transformateur de la ville, édifié par le fameux architecte de style moderniste Richard Kaufmann.
Certains porches d’immeuble sont ouverts et je regarde avidement comme à l’affût d’un trésor caché. Voilà un beau tag de violoniste. Tel Aviv n’est pas une ville qui s’offre ; il faut écarquiller les yeux pour en découvrir la beauté. Par contre, l’énergie de le faire, de sortir est donnée par la ville elle-même, son climat, ses habitants, son inextinguible volonté d’exister.
Un bâtiment avec la signature du taguer Dede, – un sparadrap -, et celle de Wonky, – une face entre singe et homme -, où il est écrit Wonky et Dede have left the building.
Absorbée par mes observations, j’arrive presque à la fin de la rue Eilat, à Jaffa donc, sans avoir retrouvé ma couturière. Je fais demi-tour mais en empruntant le trottoir d’en face, le côté ensoleillé. Je m’étais demandé quand je définissais les contraintes de mon projet, passer dans toutes les rues de Tel Aviv si je ne devrais pas élargir en m’obligeant de passer sur tous les trottoirs de Tel Aviv et la rue Eilat semble confirmer cette nécessité. Un trottoir n’est pas l’autre. Côté cour, côté jardin. Partout des câbles et des noeuds électriques qui obstruent l’horizon mais qui n’empêchent pas mon âme de voyager.
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Tel Aviv, En marchant, en écrivant: Marche n°14
Distance parcourue: 2.4 kilomètres
Seule
Date: 27 Shevat 5774/ mardi 28 janvier 2014
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esther kervyn miller
Fév 07, 2014 @ 17:55:00
WALT WHITMAN » considérer l’univers lui-même comme une route, comme une multitudes de routes pour les àmes en voyages… oui, bien vu. …ESthienne.