«Il ne faut pas mettre de bombes dans les endroits où il y a des enfants »

Je vous propose une note de lecture d’Esther Orner parue dans Continuum n.9  la revue des Ecrivains israéliens de langue française

Lettre à Zohra D. Danielle Michel – Chich – Flammarion

 Personne/ne témoigne pour le/témoin  Paul Celan

Le livre Lettre à Zohra D. est arrivé comme par hasard ou pas le jour du massacre d’un adulte et de trois enfants devant une école juive à Toulouse. Sur la couverture une jolie petite fille souriante et potelée. Derrière elle un journal sur lequel on peut lire Alger, 3 bombes, milk, caféte.

Ma curiosité est grande, mais je remettrai la lecture à un autre jour. Là, je suis trop prise par le dernier attentat.  Il a fallu que les victimes de Toulouse – Le père Jonathan Sandler, ses deux enfants Arieh et Gabriel et la fillette Myriam Monsegno soient enterrés à Giveat Shaoul pour que je puisse lire et regarder de plus près la couverture .

La photo est celle de la narratrice, enfant de cinq ans, qui dans un attentat dans un milk-bar au centre d’Alger perd sa grand mère et sa jambe gauche.

Un premier attentat à Alger en 1956 contre des civils perpétré par Zohra D. Elle a vingt ans et devient ainsi une héroïne nationale et plus tard une politicienne. Quelques années plus tard l’Algérie sera libérée. La petite fille avec ses parents, la plupart des Juifs qui étaient là bien avant la colonisation française et les Pieds-Noirs quittent leur terre bien aimée.

Un petit livre dense dans une forme littéraire élaborée. La narratrice alterne son propre vécu avec celui de la poseuse de bombe et s’adresse à elle toujours par Madame avec déférenceElles ont en commun le féminisme, la gauche, le militantisme pour la liberté et pourtant tout les sépare. Elles se rejoignent dans ce récit.  La narratrice essaye de comprendre l’acte de Zohra D, ce qui l’oblige à parler de sa vie de petite fille jusqu’au moment où elle prendra la plume pour s’adresser à elle.

Danielle est une survivante qui ne s’est jamais considérée comme une victime et se veut sans haine. Elle veut comprendre, se comprendre, comprendre sans complaisance celle qui malgré tout a changé sa vie. J’ose penser que cette petite fille surnommée Dany aurait eu le même parcours : première de sa classe, grandes études, des amours, ses enfants, la douleur en moins.

Petite fille de cinq ans sur son lit d’hôpital, elle répéta en boucle ce mot qui n’est pas un mot d’enfant «Il ne faut pas mettre de bombes dans les endroits où il y a des enfants», page 13. Et adulte, elle s’adressera à Zohra D: « … Vous vous en êtes prise à des innocents. Vous êtes allée jusqu’au bout de votre geste. Finalement vous avez été très en avance sur votre temps : Vous avez inauguré le terrorisme aveugle »,  page 93.

N’est-ce pas plutôt Zohra D. qui aurait dû s’adresser à elle ? Aurait-elle des choses à dire à la narratrice ?  Question rhétorique.  Au nom de la libération des peuples tout n’est-il pas  permis ? Ces questions sont posées par la narratrice.

Le livre pose le problème moral de la terreur dans toute sa complexité sans complaisance aucune et sans esprit revanchard. Cinquante ans après les accords d’Evian, la lettre ouverte dans tous les sens du terme de Danielle Michel-Chich est publiée et ne peut laisser personne indifférent.

©Esther Orner