Le futur gendre du Président

Le futur gendre du Président est l’une des nouvelles de mon livre Bouquet de Coriandre. 

Le futur gendre du Président

La fille du Président avait prévenu son jeune ami, le mariage était une condition indispensable à la poursuite de leur vie commune. Elle ne voulait pas tourmenter son père, le Président, qui ne supporterait pas de la savoir partager le lit d’un inconnu.

Le mariage allait donc être célébré. La famille du fiancé avait fait très bonne impression au Président, mais le style de son futur gendre, sa boucle dans l’oreille et son allure dégingandée, le laissaient perplexe; ce n’était pas exactement l’homme qu’il avait attendu pour sa fille.

La date du mariage fut fixée aisément, le Président aussi bien que sa fille et son futur gendre voulaient que l’événement fût célébré avant la fête de la Pâque et les restrictions liées aux sept semaines du décompte du Omer.

Ils se mirent aussi facilement d’accord sur le choix de la salle. La fille du Président et le futur gendre avaient abandonné l’idée d’un mariage intime et romantique dans une auberge typique et ensoleillée; ils se mariaient pour faire plaisir au Président, ils acceptaient donc, sans regrets, la grande salle de réception anonyme mais dallée de marbre qui n’aurait jamais le cachet de la petite auberge dont ils avaient rêvé.

Ils acquiescèrent aussi aux cinq cents personnes invitées, pour la plupart amis et relations du Président. La famille du jeune homme était restreinte, ni cousins, ni cousines, ni tantes, ni oncles, même pas de grand-mère et seulement quelques amis de ses parents s’aventureraient dans un voyage vers le sud, hors saison, pour assister à son mariage. La famille du Président, elle, était nombreuse et semblait organiser ses déplacements dans le pays au rythme des mariages des cousins et des cousines. De plus, le Président avait été convié en tant que Président à tous les événements heureux de sa communauté – seuls les Intellectuels oubliaient quelquefois de l’inviter – et il se trouvait dans l’obligation morale de rendre toutes ses invitations. Le mariage ne se déroulerait donc pas dans l’intimité comme le jeune couple l’aurait souhaité mais en présence de toute la communauté.

Le premier accrochage – bénin – survint lors du choix des cartons d’invitation, les jeunes futurs mariés avaient choisi un papier recyclé très simple et un caractère d’imprimerie sans fioritures, seules leurs initiales ornaient l’invitation. Le Président avait imaginé quelque chose de plus riche, des alliances et une colombe gravées en or, des caractères élégants imprimés en relief, un papier lourd, un format imposant. Les futurs mariés se dirent que l’invitation n’était qu’un détail et laissèrent au Président le choix du carton.

La discussion au sujet du libellé de l’invitation fut plus vive. Les futurs jeunes mariés voulaient rompre avec les formules d’usage et rédiger l’invitation de manière humoristique. Le Président s’opposait tout à fait à cette idée. Le futur gendre persuada la fille du Président de se rendre aux arguments du Président, après tout que lui importait ce détail, elle ne connaissait pas la moitié des invités. Il lui conseilla aussi de se prêter à la cérémonie du henné bien qu’elle rechignât à se déguiser en princesse orientale.

Et c’est ainsi que les jeunes gens laissèrent au Président le souci d’organiser leur mariage. Ils étaient végétariens mais le repas serait carné parce que le Président estimait qu’un mariage sans viande n’était pas un mariage. Les gâteaux qui ne pourraient donc qu’être confectionnés à base de margarine végétale et non de beurre auraient un goût un peu fade.

On ne danserait pas sur des disques qui auraient été choisis par le fiancé et la fille du Président mais au rythme de l’orchestre le plus apprécié de tout le sud du pays, avec danseuses en plumes et paillettes, animateur bavard et sympathique, cotillons, ballons et attractions. Les tenues habillées seraient de rigueur et on n’oublierait ni les mariés en haut de la pièce montée, ni les dragées pastel présentées dans un grand panier.

Cependant, la question de la liste de mariage souleva quelques remous. Le futur gendre et la future mariée auraient voulu recevoir au lieu d’une belle ménagère et de fragiles cristaux des chèques qui leur auraient permis de financer leur voyage en Extrême-Orient. Le Président émit un veto catégorique, il ne pouvait pas se permettre de demander de l’argent à ses invités. Ils choisirent donc une ménagère en argent mais à la décoration simple et un service de table japonisant.

Ils se résolurent aussi à accepter que les témoins de la cérémonie religieuse fussent des barbus inconnus choisis pour leur piété par le Rabbin et non pas leurs meilleurs amis qui ne pouvaient pas accéder à cet honneur puisqu’ils ne respectaient pas le shabbat.

La coupe de cheveux traditionnelle – le marié eut du mal à sacrifier ses longues boucles – et les vêtements que porteraient les mariés provoquèrent de nouvelles tensions; la fille du Président ne voulait se marier ni en long, ni en blanc, le compromis là se fit à mi-mollets et en blanc cassé. Le futur gendre accepta avec beaucoup de réticences de remplacer ses santiags en peau de crocodile particulièrement pointues par des chaussures italiennes à lacets noires et bien cirées. Il se résolut avec encore plus de contrariété à enlever sa boucle d’oreille. Le Président et lui, après quelques négociations, arrivèrent à un accord, le futur gendre enlèverait sa boucle seulement pendant la cérémonie religieuse et il pourrait la remettre une fois le verre cassé.

Mais, les tractations les plus laborieuses survinrent à propos de la montée à la Torah. Le shabbat qui suivait la cérémonie nuptiale, le marié devait se rendre à la synagogue, monter sur l’estrade et lire dans les rouleaux de la Torah sortis de leurs coffrets les versets adéquats devant l’assemblée et même s’il bégayait ce n’était pas grave, tout le monde oublierait vite ces petites imperfections en mastiquant les petits pains au saumon offerts à l’apéritif ouvert à toute la communauté que le Président organisait après l’office religieux. Le Président avait insisté surtout sur cette lecture publique de la Torah, le marié aussi. Il ne voulait pas se rendre à cette volonté de son futur beau-père, il s’était battu, s’acharnant pendant des semaines. En son for intérieur, le Président se demandait s’il faisait bien d’accepter une telle union, il ne comprenait pas comment on pouvait refuser de monter à la Torah, lui qui avait assisté à des bagarres dans la synagogue à propos de l’ordre de montée de certains fidèles et qui avait vu certains de ses coreligionnaires payer des prix faramineux pour un tel honneur. D’ailleurs, les Sages conseillaient d’emprunter le chemin le plus court pour monter à la Torah et le plus long pour en descendre.

La mariée, non plus, ne comprenait pas vraiment les résistances du marié, s’il n’y croyait pas, il pouvait faire semblant alors pourquoi se battait-il contre des moulins à vent comme si tout cela avait une signification pour lui. La mariée, elle, se tremperait dans le bain rituel même si, pour cela, elle devait légèrement trafiquer la date de ces dernières règles. Le futur gendre avait tenu bon mais quand le Président s’était mis à pleurer devant lui, il s’était rendu.

Deux jours avant le mariage, quand tous les obstacles semblaient être aplanis, surgit un nouveau problème. La Présidente alarmée vint avertir le Président que le marié refusait de porter une cravate. Le futur gendre qui avait déjà renoncé à ses bottes et à ses boucles d’oreilles se refusait au port de la cravate, il avait accepté le costume sombre, les chaussures cirées, les cheveux coupés, l’oreille sans boucle, la prière dans le texte mais il sentait qu’il ne pouvait aller plus loin, il ne se plierait pas à toutes les volontés du Président. Il s’accrochait à cette absence de cravate malgré les objurgations et les prières de la famille. La Présidente, pour le convaincre, acheta une cravate fantaisie avec des poissons, le futur gendre aimait beaucoup la pêche. Il refusa de la nouer. On lui proposa des cravates à fleurs, à chevaux, à souris, à clowns. Il résista. On essaya les cravates avec des personnages de bandes dessinées originaires de son pays de naissance. Il les dédaigna. On lui suggéra le nœud papillon, les lavallières. Il n’en voulait pas. Le fils du Président proposa le lacet noir comme les hommes de loi dans les westerns. Il refusa ce nœud-là aussi. Il s’accrochait à ce dernier bastion de son indépendance; il ne se cravaterait pas.

Le grand jour venu, la mariée en blanc cassé dans une robe charleston remontait lentement l’allée au bras de son père, le Président radieux. Soutenant sa mère, le marié, le teint un peu brouillé dans un costume sombre, les cheveux bien coupés, les oreilles nues, les chaussures bien cirées mais sans cravate suivait d’un pas décidé.

Sous le dais nuptial, la cérémonie se déroula dans l’harmonie et l’émotion, le vin du Kiddoush avait été oublié mais il fut avantageusement remplacé par du champagne, casher bien entendu, et toute l’assemblée s’accorda à voir dans ce détail le signe prémonitoire d’une vie fertile, prospère et durable pour le jeune couple.

©Rachel Samoul