Un appartement au 5 Mevoh Yoram (3e et dernière partie), Esther Orner

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Il me tient à coeur parce qu’il est question de Jérusalem et parce qu’il est dédié à Alain Sicsic, un ami cher qui nous a quittés le 3 avril 2023. 

Mon amie Esther Orner m’a donné l’autorisation de publier  « Un appartement au 5 Mevoh Yoram », un texte qui est paru en 2013 dans le Continuum n°10, la Revue des Ecrivains Israéliens de langue française. Comme le texte est assez long, je le mettrai en ligne en trois fois.

Voici la 3e partie. Pour lire la 1e partie et la 2e partie d' »Un appartement au 5 Mevoh Yoram »

Un appartement au 5 Mevoh Yoram

A Alain Sicsic

Après deux trois ans je suis retournée dans ma ville.

Ma première demeure sera la rue Radak à Rehavia. Pendant mon séjour cet été 2011 rue Alfassy, je passerai souvent devant cette maison pour me rendre à la rue Aza, rue principale d’un quartier très mouvementé avec sa circulation et ses autobus.

Comme son quartier, la rue Aza n’a pas vraiment changé même si on y trouve de plus en plus des cafés de charme, des pâtisseries, des boulangeries de luxe. Une supérette a remplacé la makolet. Une vieille pharmacie, la même. Les façades sont identiques à celles que j’ai connues. On devine à peine derrière elles de nouvelles boutiques. Les enseignes nous informent ou alors quelques tables à l’extérieur. 

Je remonte et redescends la rue Aza. J’achète de la nourriture et je reprends la rue Radak pour revenir à Alfassy. Je m’arrête face au numéro 5. J’occupais probablement une partie du deuxième étage. A moins que ce fut le premier étage. Ma taulière, une femme pas toute jeune avec un fort accent allemand y habitait avec sa vieille mère qui ne parlait pas un mot d’hébreu. Je la soupçonnais d’écouter aux portes. Le matin elle était capable de me rapporter ce qui s’était passé ou dit chez moi la veille. 

Très vite je cherchai un autre endroit. Puis je fus enseignante au Mossad Talpiot un peu en dehors de la ville, pas loin de Motsa. Ce petit village pour enfants immigrés, aujourd’hui est recouvert de tombes. Pendant des années après mon retour de France lorsque je me rendais à Jérusalem avec l’autobus 405, je voyais les changements s’opérer. Les cabanes sur le versant de la montagne disparaissaient petit à petit. Très longtemps j’arrivais à situer l’endroit grâce à la grille de l’entrée. Plus aucune trace de cet endroit. Le cimetière de Kiriat Shaoul le remplace.

Après la guerre des Six Jours des amis m’amèneront à Nebi Samuel, village arabe sur la montagne en face de Talpiot où je vécus dans une totale insouciance. Lorsque nous descendions sur la route principale reliant Jérusalem et Tel-Aviv, nous aurions pu être canardés. Mais non, nous avions un cessez le feu avec la Jordanie qui tenait la route.

C’est aussi de là que je me rendrai la première année à l’université. En hiver je rentrais à la nuit tombée sans peur aucune. Sans rien imaginer.

Plus tard, je suis retournée habiter la ville. Je suis devenue la spécialiste des changements d’appartements ou plutôt de chambres meublées. Je ne possédais rien d’autre qu’une valise. Une voyageuse sans bagages. C’est ainsi que je connaîtrai tous les quartiers de la ville nouvelle. Celle en dehors de la muraille. Et comme le téléphone était une denrée rare, même mes propriétaires n’en possédaient pas, je laisserai ma nouvelle adresse pour qui me chercherait. Et lorsqu’une de mes cousines, qui vivait dans un kibboutz d’Emek Izrael, venait parfois à Jérusalem, elle était renvoyée d’une adresse à l’autre. Jusqu’à ce jour elle m’est reconnaissante de lui avoir fait découvrir la ville en allant à ma recherche.

Cet été 2011 début septembre, je ne suis pas seulement venue pour pouvoir me couvrir d’une petite couverture la nuit en attendant l’hiver telavivien. Je suis venue renouer avec la ville. Non pas que je l’avais vraiment quittée. Par la force des choses, j’y vais moins souvent. Lorsque je l’ai quittée en 1983 lors de notre retour définitif et notre déménagement à Tel-Aviv, je m’étais promise de revenir au moins une fois par semaine. J’avais et j’ai encore beaucoup d’amis dans la ville. Chaque semaine c’était excessif. Une amie qui n’est plus me le fit remarquer. Ce serait bien si je venais au moins une fois par mois. J’allais passer une première année à soigner et soutenir mon compagnon dans notre nouvelle ville, Tel-Aviv. Après sa mort, je reviendrai avec ma fille passer les fêtes chez des amis dans un quartier que je ne connaissais pas. Un quartier joliment construit après la guerre des six jours. Un quartier neuf qui par son côté labyrinthique rappelle curieusement la ville ancienne.

Je vais de plus en plus rarement à Jérusalem. Je devrais me fixer un jour par mois au moment du renouvellement de la lune encore cachée.

Dès le premier jour j’ai déambulé. Ou plutôt marché.
Je me suis mise dans les pas de l’ami qui, s’il n’habite pas depuis longtemps ce quartier, connaît la ville mieux que moi. Et la mémoire se souvenait. Lui ai-je raconté ma ville ? Ma ville était celle du partage. Fin des années cinquante, début des années soixante. Celle où je me suis retrouvée pendant ce court séjour.

Avant qu’il ne retourne à Tel-Aviv, il me montre la tombe de Jason en face de sa maison où il avait l’habitude de venir s’isoler. Puis nous nous sommes dirigés vers la rue Radak qui nous a mené à la rue Aza, retour par la rue Metoudela, puis par Afadi, une toute petite rue que je ne connaissais pas. Pendant ces quatre jours j’arpenterai sans fin ces rues. A partir d’elles je me déplacerai dans la ville.

La tombe de Jason à Rehavia à Jérusalem

La tombe de Jason

Nous avions renouvelé pour un petit moment les journées passées à Jérusalem quand l’ami n’habitait pas encore la ville. Ni même le pays. Nous allions plutôt du côté de la Vieille ville retrouvée. Toutefois dans ce quartier de Rehavia qui fut le mien je réapprenais ma ville. En quelques heures, j’y étais de plein pied. L’autre ville pour laquelle j’ai un même sentiment, c’est Paris. Quant à l’ami ses deux villes préférées ce sont Rome et Jérusalem.

Il les définit ainsi : Jérusalem relèverait du sublime et Rome plutôt du ressort du beau, plus fermé. Pas de perspective. Des lieux qui s’emboîtent. Dans la beauté il y a une sorte d’achèvement. Le sublime lui est dans l’inachèvement. 

Il y a longtemps l’ami de la rue Alfassi me parlait de la Jérusalem du partage comme d’un endroit relégué. La construction s’était arrêtée. Un cul de sac. On y allait rarement. A l’université, Givat Ram, une histoire circulait – quelle est la meilleure chose à Jérusalem ? L’autobus pour Tel-Aviv. Cette ville que bon nombre de hiérosolymitains comme moi évitaient.

Depuis 1967 la ville s’est construite et recouvre petit à petit les montagnes. On se retrouve souvent dans des embouteillages sur la route principale entre les deux villes. Il se trouve toujours des Telaviviens qui ne mettent pas les pieds dans cette ville. Certains par idéologie. D’autre à cause de ses embouteillages auxquels on ne trouve pas la parade. Même le nouveau tram dont la construction a pris des années ne semble pas résoudre le problème.

La gare des autobus se trouvait en plein dans la rue de Jaffa. C’était un endroit pas très grand. Dernièrement je suis passée par là. Il a la dimension d’un petit parking en plein air. Ça suffisait pour les bus qui reliaient peu d’endroits. Depuis lors une nouvelle gare a été construite. Cela prit du temps. Une gare amicale dont les autobus relient tous les endroits du pays. Il y eut une gare intermédiaire en plein air.

La rue Jaffa, elle aussi a bien changé. Surtout depuis son tram qui la traverse. Elle est pratiquement devenue une rue piétonnière.

Il y a toujours, le fameux souk de Jérusalem, Mahané Yehouda, dans lequel j’ai passé de beaux jours quand je n’avais que deux trois rues à traverser. 

J’y allais avec les copines qui depuis longtemps ne séjournent plus dans la ville. Là j’y suis allée avec une hiérosolymitaine qui n’y habitait pas encore quand je m’y promenais. Elle m’a présenté ses marchands. Elle y va chaque semaine. Depuis plus de dix ans le Souk est couvert. Les bus ou maintenant le tram ne s’arrêtent plus devant lui à cause de nombreux attentats qui n’ont pas empêché la foule de s’y presser. Le souk a malgré tout un peu changé par ses nouveaux magasins et ses restaurants bobo. Pas trop tout de même. Il y a toujours les marchands de fruits et légumes qui mettent une bonne ambiance.

Pour clore la promenade nous sommes allées déjeuner dans un ancien restaurant oriental dont la spécialité est invariablement le Meourav Yerouchalemi, un mélange de viandes grillées. Un peu comme si tout se mélangeait dans cette ville. Et ceci bien avant qu’elle ne soit réunifiée. Du temps où l’on pouvait arriver partout à pieds.

J’ai interrompu ma déambulation pour retourner dans la ville de la plaine. J’ai tant déambulé à la fin des années cinquante et au début des soixante. Et je déambulerai encore. Déambuler c’est se perdre. Et revenir sur les lieux, c’est les retrouver. Se retrouver. Cet été-là, comme d’autres étés, resteront gravés dans ma mémoire.

©Esther Orner

Notre regretté Alain Sicsic à qui ce texte est dédié. Que son souvenir soit à jamais source de bénédiction.

 

Pour lire la 1e partie et la 2e partie d' »Un appartement au 5 Mevoh Yoram »

 

     
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