La fille unique, A. B. Yehoshua

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Agnès Bensimon a fini de lire le dernier livre d’A. B. Yehoshua traduit en français et m’envoie sa note de lecture au moment-même où nous apprenons que cet auteur israélien incontournable est mort à Tel Aviv à l’âge de 85 ans. Que son souvenir soit source de bénédiction.

 

LA FILLE UNIQUE, A. B. Yehoshua, Grasset, traduction Jean-Luc Allouche, 208 p.

A.B. Yehoshua aime à surprendre ses lecteurs en situant ses récits dans des univers inattendus. La Fille unique se déroule de nos jours, dans le Nord de l’Italie, à Venise. Rachele, jeune fille de bonne famille – une famille juive ashkénaze aisée, prépare sa bat-mitsva avec un rabbin qu’elle adore. A l’approche de Noël, son institutrice la choisit pour incarner Marie dans un spectacle évoquant la naissance de Jésus. Rachele rêve d’interpréter ce rôle par le biais duquel elle interroge ses identités. Ses grands-parents maternels ne sont pas Juifs, sa mère s’est convertie pour épouser son père, lequel s’oppose fermement à ce que sa fille unique joue le rôle de ce personnage iconique de la chrétienté. En revanche, son grand-père paternel l’encourage dans sa réflexion sur les deux religions. Pendant la guerre, afin de sauver la vie de sa femme et de son fils, il n’a pas hésité à prendre la soutane, comme il en fait pour la première fois la confidence à sa petite-fille. En quête de réponses à ses explorations identitaires et spirituelles, Rachele navigue de l’un à l’autre des membres de sa famille, jusqu’à suivre son père dans le village de montagne, éloigné de tout, où il est né au pire moment de la guerre et où il a été protégé par une famille catholique. Retourner sur le lieu de sa naissance est pour le père une démarche indispensable. En effet, sa vie ne tient plus qu’à un fil, menacée par une méchante tumeur au cerveau. Il saisit l’occasion unique de ces vacances en famille pour faire le long chemin vers le lieu des premiers jours de sa vie, en compagnie de sa fille. Les adultes qui l’entourent taisent à Rachele la dure réalité de la situation mais la préparent à devenir forte et autonome. L’apprentissage de la jeune fille passe par la lecture de Le livre-cœur d’Edmondo De Amicis, un classique de la littérature pour la jeunesse, paru en Italie en 1886, que son institutrice lui a conseillé de lire et relire pendant les vacances de Noël. Celle-ci coopère au plan ourdi par la famille de Rachele pour l’aider à affronter le drame qui se joue en l’incitant à réfléchir sur le sens que ce conte peut avoir pour elle. L’adolescente projette son avenir comme juge et non comme avocate, à l’instar de son père et de son grand-père. Ce dernier, pourtant, lui livre un précieux secret pour permettre à des points de vue opposés de trouver un terrain d’entente et de sortir d’un conflit : « Je les ai laissés seuls exprès, pour qu’ils aient l’impression que la proposition sur la table n’est pas la mienne mais la leur, qu’ils y sont parvenus d’eux-mêmes. Lorsque tu dirigeras ce cabinet, toi aussi, tu te conduiras comme moi. Pose sur la table le bon accord, puis quitte la salle afin qu’ils ne disent pas que le juif les a obligés à signer. Tu saisis ?» Avec doigté, alors que la fin approche, l’écrivain connu pour ses engagements politiques transmet à la jeunesse une direction à suivre, un message, un vœu pieux …

     
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