Saint-Martin-Vésubie, une vallée de Justes sous la boue

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Dans le cadre du Billet de l’Invitée,  Micheline Weinstock pour marquer sa solidarité avec Saint-Martin-Vésubie dûrement touché par les intempéries nous raconte le rôle que ce village a joué dans le sauvetage de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Saint-Martin-Vésubie

Ce Haut Pays, proche de Nice, est devenu ma terre d’adoption depuis une vingtaine d’années. Sa dévastation, qui est immense, me tourmente et  je m’interroge : comment  lui venir en aide ? La tâche  est surhumaine, hors de ma portée. 

 Alors pourquoi ne pas raconter son histoire –  si belle et si humaine – pour  exprimer ainsi ma reconnaissance et ma sympathie à l’égard de cette population si courageuse  qui a permis le sauvetage de centaines  de Juifs  pendant la guerre.   

En  2005  une cérémonie était organisée à  l’occasion de  l’attribution  de plusieurs  médailles de Justes. Il s’agissait d’un premier pas qui allait aboutira à  la reconnaissance de Saint-Martin-Vésubie comme membre des Villes et Villages des Justes de France.  Comme  d’autres  villages  des Alpes Maritimes d’ailleurs : Clans sur Tinée,  Breuil…

A cette occasion nous avons rencontré Danielle Baudot-Laksine, le début  d’une belle amitié. Native de la région, elle s’intéresse aux anciens,  part à  leur  rencontre. Et ce d’autant plus que qu’elle  maîtrise les parlers locaux,  particuliers à chaque vallée. Elle  publie plusieurs ouvrages.  Lors de ces rencontres,  les villageois évoquent fréquemment un lieu-dit : la « Pierre des Juifs ». 

La voilà lancée : pendant  25 années elle va rassembler les témoignages, des centaines d’heures d’enregistrements, des documents,  des photos. Il fallait ensuite  retrouver ces anciens  réfugiés. Elle se rendra aux États-Unis, en Israël,  en Australie et… parviendra à  organiser une rencontre, bouleversante, réunissant sauveurs et anciens réfugiés. C’était en 2005 à  Saint-Martin-Vésubie. 

Ici un bref rappel  historique s’impose. 

D’abord zone libre,  la région des Alpes-Maritimes passe ensuite sous occupation  italienne en novembre  1942. Les Juifs ne sont pas inquiétés. Mais après  l’arrestation  de Mussolini, certains italiens, dont Angelo Donati, se préoccupent de leur sort et rejoignent le « comité  Dubouchage » d’aide aux réfugiés avec l’appui  de l’Evêque de Nice. Mouvement de résistance situé à  Nice et aidé par le Joint. Leur projet consistait à  évacuer tous les Juifs vers Gènes  et, de là, en Afrique du Nord.  Ce projet échouera partiellement lorsque la région  passe sous occupation allemande en septembre 1943. 

L’aide au Juifs consistait alors à  les aider à  rejoindre les zones italiennes. Seuls les plus vigoureux d’entre eux étaient capables de franchir la montagne,  d’autant plus que leur équipement était rudimentaire. 

Déjà en 1941 environ  800 Juifs avaient été assignés à résidence  à  Saint-Martin-Vésubie. Ils seront  rejoint  par des clandestins, quelques  dizaines,  peut-être 300. La cohabitation fut difficile au départ,  d’autant plus que la population  locale comptait à  peine 1.600 habitants. Les réfugiés étaient logés  dans  les hôtels, nombreux et confortables de ce lieu de villégiature, le Joint assumant les frais. Bien vite la vie en commun s’est organisée, les réfugiés s’occupant de travaux agricoles, de couture, il y avait aussi un médecin. Les liens se sont noués   avec la population locale, la solidarité s’est organisée. De cette époque  datent des photos  incroyables en cette période  de guerre : des jeunes dansant dans des granges, nageant… Les plus  jeunes s’exerçaient à la marche en montagne. On pensait toujours à partir, à franchir les cols.

Parmi  les réfugiés,  venus pour  la plupart  de l’est, on compte quelques  tailleurs qui vont initier  des villageoises à  la couture, notamment en confectionnant des vêtements à l’aide de vielles tentures. Une complicité est engagée. Mais l’occupation allemande va signer le début des persécutions. A Nice on compte 3.612 déportés,  beaucoup moins que prévu.  Les autorités italiennes,  aidés par des résistants français, avaient détruit  une grande partie du fichier juif.

Dorénavant les Juifs devront se cacher.

La population s’organise : dans les greniers, dans les cabanes de bergers, dans les caves ou plutôt une grande cave, commune à  plusieurs immeubles. J’ai eu l’occasion  d’accompagner  Danielle,  d’écouter  les mille anecdotes des villageois. L’astuce adoptée pour apporter les denrées : des amies du village allaient papoter en s’asseyant sur le trottoir, cachant le soupirail à l’aide de leurs jupes et glissant ainsi la nourriture aux Juifs cachés.

Mais le but consistait toujours  à parvenir à  rejoindre l’autre versant de la montagne,  d’atteindre l’Italie – et pourquoi pas ?- la Suisse. Avec la complicité  de postiers et de gendarmes plusieurs y parviendront. Toutes les astuces sont bonnes. Telle  jeune fille accompagnait son « amoureux », – et il y en aura beaucoup  – en car postal vers  l’autre vallée. Par la suite, elle a eu du mal à  se défaire d’une réputation  de  «fille facile ». Combien d’hommes n’a-t-elle sauvé ainsi…

Beaucoup de petites mains discrètes ont œuvré ainsi avec succès, parfois sans que leurs mérites aient été reconnus : je pense à  Hector Cendo, signant  des dizaines de faux papiers pour les réfugiés juifs alors qu’il  travaillait au cabinet  d’un préfet pétainiste.

Et la « Pierre des Juifs »?  Il s’agit d’une sorte de grotte dont l’orifice est  cachée par une grosse pierre. Un passeur – généralement un berger – y conduisait un petit groupe de Juifs. Ceux-ci  y passaient la nuit avant de traverser la vallée au petit matin. Le but consistait toujours à passer de l’autre côté. Loin des allemands,  près de l’Italie. 

La région a été  libérée fin août 1944.

Le Vallon du Boréon, le col de Fenestre, le vallon de la Madone, Utelle…. des noms évoqués aujourd’hui au sujet de la catastrophe naturelle qui s’est abattue sur la région.

Des vallées de Justes meurtries sous la boue.

Danielle Baudot-Laksine a consacré  de nombreux ouvrages et expositions à cette page d’histoire. Voici bientôt 3 ans qu’elle a disparu. La nouvelle du désastre l’aurait anéantie. 

©Micheline WEINSTOCK

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