Israël vue sur mer

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Je dédie ce billet au souvenir d’Alina, la maman de Karen et de Michal, grande amoureuse de la mer à Tel Aviv.

Ce texte est paru dans la revue Continuum, numéro 5, pour l’année 2007/2008. CONTINUUM est la revue des écrivains israéliens de langue française.

C’est sur la plage de Tel-Aviv que j’ai envie de convier mes amis. Comme chaque année, en somme. Certains ne viennent à la plage seulement quand j’y suis. C’est, sans doute, cela ma vocation profonde, le sens de ma vie, permettre à ceux que j’aime de passer quelques heures sur une plage israélienne! Pompeusement, je dis que je tiens salon. Les grains de sable entre les orteils titillent bien la pensée !

Photo Rachel Samoul

Prenez donc une chaise – elles sont en plastique, blanches, rouges ou vert acide, et installez-vous avec nous. Pas de chaise-longue car il faut surveiller les enfants qui s’ébattent dans les vagues et sur cette côte orientale de la Méditerranée, elles sont particulièrement dangereuses, traitresses surtout au moment de Ticha b’Av, une date qui commémore la destruction des deux Temples et bien d’autres catastrophes, une période où, dit-on, la mer est démontée, imprévisible. La situation s’est pourtant bien améliorée depuis la construction des premiers brise-lames dans les années 70.

N’oubliez pas de bien vous protéger, chapeau, lunettes, crème solaire. Ah oui, et surtout boire. Ainsi équipés, assis sur nos chaises en plastique, nous pouvons nous familiariser avec Israël, à la plage. Le meilleur des baromètres pour évaluer la situation du pays. Lors de la Première puis de la Seconde Guerre du Liban, nous avons été aux premières loges pour observer les hélicoptères monter vers le nord ; suivant leur fréquence et leur nombre, nous avons pu évaluer l’intensité des offensives. C’était la guerre et nous étions à la plage. Paradoxe israélien ? Pendant la Guerre du Golfe, c’était l’hiver, certains de ceux qui étaient restés à Tel-Aviv, n’avaient pas déserté la plage, ils se croisaient, les pieds nus sur le sable, leur masque à gaz dans une boite en carton à la bandoulière noire ondulant sur leurs épaules. Nous nous prélassions sur le sable chaud quand l’Intifada faisait rage. Nous interrompions notre conversation, suspicieux, quand les porteurs de grands sacs un peu basanés déambulaient sur la plage, sauf qu’ici tout le monde est hâlé. De nos chaises, nous pouvions apercevoir le Dolphinarium où un attentat sanglant avait, le 1er juin 2001 fauché la vie de vingt-et-un jeunes israéliens. C’était l’Intifada et nous étions à la plage, notre manière de faire de la résistance, comme le disait Esther.

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Tout en admirant la mer, nous avons assisté aux alyot successives, les Russes et leur robe à dentelles même sur le sable, les amis argentins de notre sauveteur. Et aujourd’hui, de saison en saison, nous mesurons à quel point les Français gagnent du terrain, s’étalant de Frishman à Banana Beach, avec leur caleçon de bain dans les tons de rose, de vert pomme ou d’orange pour les hommes et les bikinis à paillette pour les filles.

Les pieds dans l’eau, nous pouvons nous rendre compte de l’état de la tension entre juifs et arabes. Si la situation est bonne, de nombreuses familles arabes viennent se baigner. Les garçons en maillots de bain et les filles toutes habillées. Même à la plage, il est souvent difficile de découvrir l’autre.

Très tôt, sur les plages de Tel-Aviv, les habitués du matin, ont les allures d’une colonie de pingouins. Ils se tiennent tous sur une ligne invisible au-delà de laquelle on perd pied. Ils papotent, leurs bonnets de bain blanc et leurs numéros sur les bras. L’après-midi, ce sont les chercheurs de métaux qui avec leurs détecteurs aux allures d’aspirateurs recherchent des pièces égarées, des bijoux perdus, des trésors enfouis, adaptant à la plage la passion des Israéliens pour l’archéologie.

Tout en admirant le coucher du soleil, nous nous sommes familiarisés avec les modes sportives successives, du surf à la planche à voile, puis au kytesurf en passant par le kayak de mer.

Assis face à la mer, nous admirons notre maître-nageur sur son hasaké, une spécificité israélienne, une sorte d’ancêtre du surf. Une large planche que Shouki fait avancer avec une rame à double pagaie et avec laquelle il peut avaler les vagues en un temps record pour aller sauver un nageur essoufflé. Par temps calme, le sauveteur entretient ses muscles en promenant de jolies filles sur son hasaké.(…)

Notre maître-nageur, quand il n’est pas sur son hasaké, trône dans sa cabane surélevée, une sorte de chalet maritime où, à l’aide d’un haut-parleur, il orchestre la vie des nageurs. Il agrémente ses recommandations sécuritaires, ne pas dépasser la crête où les vagues se cassent, se diriger plus vers le sud, vers Jaffo pour éviter un courant dangereux, d’injonctions en anglais pour les touristes mais aussi en russe, en espagnol et dernièrement en français, n’hésitant pas à fredonner du Vissotsky ou de l’Aznavour, accompagnant ainsi les vagues d’immigrations successives.

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Aznavour, Shimon, le marchand de glaces l’aime bien aussi. Avec son chapeau de cow-boy, ses lunettes noires, sa chemise bleue, il arpente la plage. Marchand de glaces l’été, chauffeur de taxi l’hiver et grand conseiller en matière boursière, Shimon nous informe à chaque passage de la fréquentation de la plage, des conclusions de la dernière commission parlementaire, du cours du dollar, de l’état du marché immobilier à Tel-Aviv et des dernières informations sur les soldats kidnappés, accessoirement il nous conseille un nouveau parfum d’artic. Le bâtonnet glacé israélien qui colore les langues des enfants aux couleurs de l’arc-en-ciel.

Les premières pluies nous prennent par surprise sur la plage. Les gouttes sont si grosses qu’il faut se réfugier dans l’eau pour éviter leur impact douloureux sur la peau. A la fin de l’averse, on sort de l’eau juste au moment où l’arc-en-ciel apparaît, miroir des mosaïques d’Agam, intitulées, Prière visuelle, l’Alliance qui colorent la façade du mythique hôtel Dan.

Pour le Tashlich, à Rosh Hashana, les religieux qui d’habitude fréquentent une plage où il existe des jours pour les hommes et d’autres pour les femmes, transformant la mer en un immense bain rituel, viennent ensemble jeter leurs péchés à la mer, sous forme de miettes de pain qu’ils donnent à manger aux poissons.

Le dernier jour de la semaine de Pessah, on les retrouve alors qu’ils récitent Shirat Hayam, le Cantique de la mer, prononcé par Moïse après que les eaux de la Mer rouge se sont séparées pour permettre le passage des Hébreux.

Remercions le poète Haïm Nahman Bialik qui, influencé par Odessa, la ville des bords de la Mer Noire qu’il aimait, avait plaidé la cause du bord de mer auprès du premier maire de Tel-Aviv, Meir Dizengoff, qui aspirait à le transformer en une zone industrielle.

Aujourd’hui, tout Israël se retrouve à la plage, on y pique-nique, on y lit, on s’y rencontre, on y danse, on est inquiet ou optimiste, on regarde l’horizon et on se dit comme un autre poète : Elle est retrouvée. Quoi ? L’éternité. C’est la mer mêlée au soleil.

Continuum Année de création : 2002
Pour commander la revue braester@bezeqint.net

Un autre article de Continuum sur Kef Israël, Hommage à Henri Meschonnic

     
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